La fête est terminée!
On a fêté jusqu’aux petites heures du matin. On a bu et mangé jusqu’à l’excès. Il ne faut donc pas être surpris de se réveiller avec la gueule de bois. Ce n’est pas aux célébrations des dernières semaines que je fais allusion, mais bien à l’état de nos finances publiques.
Avec la Révolution tranquille, le Québec entreprit de combler son retard économique par rapport au reste du Canada. On pensait alors qu’un État interventionniste était la solution. Depuis, les Québécois ont développé le réflexe de compter sur l’État-providence et de lui en demander toujours davantage. Et comme la classe politique préfère séduire l’électorat plutôt que de prendre les décisions économiquement soutenables, elle a créé une panoplie de programmes généreux et de services publics ambitieux que les Québécois ont accueillis sans songer au lendemain. Aujourd’hui, la fête est terminée, et le réveil est douloureux!
C’est ce que montre le premier fascicule rédigé par les économistes Robert Gagné, Luc Godbout, Claude Montmarquette et Pierre Fortin à qui le ministre des Finances Raymond Bachand a confié le mandat de dresser le portrait des finances publiques et de réfléchir à des solutions. Le document a le mérite de présenter avec éloquence des faits que nos gouvernements ont jusqu’ici préféré ignorer même s’ils sont lourds de conséquences et difficilement contestables. On y apprend que le financement des services publics est plus important chez nous qu’en Ontario, mais que nous n’avons pas les moyens de nos ambitions. Après les provinces maritimes, le Québec est la province la plus pauvre au Canada. Notre richesse par habitant atteint à peine 81,3% de la moyenne canadienne. Nous créons moins de richesse que six autres provinces alors que le financement public de nos services y est plus élevé et que les transferts fédéraux ne comblent pas la différence.
Une telle situation aurait pu être corrigée depuis longtemps n’eût été l’opposition des défenseurs du modèle québécois déterminés à nier l’évidence et à parasiter toute remise en question.
Ainsi, pour financer l’idéal sociétal de certains, il a fallu taxer toujours davantage et s’endetter. Le rapport des quatre économistes confirme d’ailleurs que les prélèvements fiscaux sont plus élevés au Québec qu’en Ontario, que dans le reste du Canada, qu’aux États-Unis et que dans les pays du G7 et de l’OCDE. Quant à l’impôt des sociétés et aux taxes à la consommation, nous avons les plus lourds en Amérique du Nord. De plus, le Québec doit assumer la dette publique la plus importante du continent en proportion de son économie, ce qui nous rend particulièrement vulnérables aux fluctuations de taux d’intérêt. En somme, nous ne disposons que d’une marge de manœuvre limitée pour entretenir notre modèle, surtout dans un contexte où de nouveaux défis mettent à l’épreuve notre capacité d’adaptation. Manifestement, au rythme auquel nous allons, nous fonçons tout droit dans un mur, et l’impact est imminent!
Le premier fascicule donne l’heure juste sur l’état de nos finances publiques, et ceux qui suivront proposeront des solutions. Le travail des quatre économistes est important. Mais à eux seuls, ils ne pourront sauver le Québec. Nous devons prendre conscience de la précarité de nos finances publiques et ignorer les vendeurs de rêves qui affirment que la dette n’est pas problématique. La supériorité du modèle actuel n’est qu’illusion. Les constats troublants présentés dans le document le prouvent. Il ne nous reste donc d’autre choix que de réviser notre modèle, l’avenir de notre belle province en dépend. Mais pour cela, il faut d’abord changer les mentalités. C’est peut-être là le plus grand défi!
Nathalie Elgrably-Lévy est économiste senior à l’Institut économique de Montréal.
* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.