Le Gros Prix de Montréal
Une grande blonde moulée dans un t-shirt rouge Ferrari, j’aime. Un imbécile ivre qui gueule des obscénités en déambulant sur la rue Crescent, j’aime moins. Et quand on essaie de m’enfirouaper avec l’argument des «retombées économiques» du Grand Prix, alors là, j’aime pas du tout.
Vous travaillez fort pour gagner votre paie. D’autres travaillent aussi fort pour s’en approprier une part. L’arme préférée de ces groupes d’intérêts: l’argument trompeur des retombées économiques. Le raisonnement: vous achetez une caisse de bière au dépanneur. Le propriétaire du dépanneur reçoit votre 20 $. Il le dépense le lendemain chez le coiffeur. Avec cet argent, le coiffeur achète un steak chez le boucher, et ainsi de suite. On additionne tous les 20 $ et… Abracadabra! Votre caisse de bière génère 60 $ de retombées économiques. Mais ce que les politiciens oublient commodément de vous dire, c’est que peu importe ce que vous achetez, votre 20 $ génère les mêmes retombées économiques partout.
Prenons l’exemple du Grand Prix. Il coûtera aux contribuables 75 M$ sur cinq ans. Pas grave, nous dit-on. L’événement va générer des retombées de 89 M$ par année. J’en doute. D’abord, 80% des spectateurs proviennent du Québec. Sans Grand Prix, ces gens jetteraient-ils leur argent dans les égouts? Non. Ils le dépenseraient ailleurs – cinéma, restaurants, voyage en région, etc. – et créeraient autant de retombées économiques et d’emplois. C’est exactement ce qui s’est passé l’an dernier, alors que le Grand Prix n’a pas eu lieu.
Quant aux touristes, nous offrent-ils leurs dollars ou leurs euros gratuitement? Non. Ils les échangent contre nourriture, services hôteliers, transport, etc. Des biens et services que nos entreprises doivent produire en sacrifiant des ressources. L’industrie touristique doit être vue comme une entreprise exportatrice (comme Bombardier), rien de plus. Et la subvention de 75 M$: un transfert de richesse des contribuables vers cette industrie.
Cependant, la visibilité internationale du Grand Prix peut attirer des investisseurs ici, ou nous procurer une certaine fierté. C’est souhaitable. La question qui se pose: à quel prix? N’oublions pas qu’avec les ressources et la main-d’oeuvre utilisées pour le Grand Prix – ainsi que les 75 M$ en subventions –, nous pourrions produire autre chose, de plus utile. Plus de services d’éducation? De santé? Moins de dettes? Vous choisissez.
La rentabilité d’une dépense publique se mesure à la valeur, aux yeux de la société, de ce qu’on produit avec. Non aux prétendues retombées économiques, qui se dressent comme un écran de fumée. Car rien n’est gratuit en ce bas monde. Pas même une grande blonde en t-shirt moulant.
David Descôteaux est économiste à l’Institut économique de Montréal.