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Textes d'opinion

Si tu coûtes trop cher…

En juin dernier, une jeune femme accouche sans assistance médicale à l’hôpital Royal Victoria. Quelques semaines plus tôt, des tests pathologiques du cancer du sein erronés sèment la panique chez des milliers de femmes. Chaque jour, les urgences débordent, des diagnostics sont retardés, des chirurgies sont reportées, des traitements contre le cancer sont annulés et des patients s’expatrient pour se faire soigner. Après avoir rencontré un généraliste, un malade doit attendre en moyenne 18,7 semaines avant de recevoir les soins nécessaires. À l’Hôpital de Montréal pour enfants, on m’a informé que je devrais patienter au minimum neuf mois avant de pouvoir jouir de l’immense privilège de rencontrer un ophtalmologiste! Neuf mois!

La maladie est une épreuve difficile. Comme si c’était insuffisant, les délais imposés par le système déclenchent en nous un sentiment d’impuissance qui frustre, angoisse et révolte. Le plus désolant, c’est que cela fait bien trente ans que notre réseau de la santé se détériore en dépit des promesses électorales et d’un budget en constante augmentation qui représente aujourd’hui 45% des dépenses de programmes.

À l’heure où la recherche de solutions efficaces s’impose, plusieurs voix s’élèvent, mais elles entonnent toutes le même refrain: il faut injecter des fonds et mieux orchestrer les services!

L’exemple britannique

Pour vérifier la pertinence d’une telle affirmation, lorgnons du côté du système de santé du Royaume-Uni où la majorité des soins est dispensée gratuitement par le National Health Service (NHS). Créé en 1948, le NHS a servi de modèle à l’élaboration du système canadien.

En dix ans, le budget du NHS a augmenté de 128%. En Angleterre uniquement, c’est près de 1,1 million de personnes qui travaillent dans le réseau de la santé, faisant de l’État le quatrième plus important employeur au monde. Avec une telle machine à l’œuvre, le Royaume-Uni devrait pouvoir s’enorgueillir d’offrir les meilleurs soins de la planète.

Recherche de rentabilité

Or, le système est au bord de l’implosion. Les coûts explosent et les listes d’attente s’allongent. Pour y remédier, l’État crée en 1999 le National Institute for Health and Clinical Excellence (NICE) afin de déterminer la rentabilité de certains traitements et de faire la promotion de certaines pratiques.

Par souci d’«efficacité», le NICE a déterminé que l’État ne dépenserait pas plus de 22,000$ pour des traitements permettant de prolonger la vie de 6 mois. Ainsi, des médicaments tels le Lapatinib et le Stutent, qui permettent de prolonger la vie dans certains cas de cancers, ne sont pas prescrits, car ils sont jugés trop coûteux. L’Aricept contre l’alzheimer, le Magucen contre la dégénérescence maculaire, ou encore le Lenalidomide pour les cas de myélome multiple ne sont pas administrés pour la même raison. Quant aux interventions chirurgicales, le NICE se réserve le droit d’en limiter le recours. Le Nice a également abolis les tests de dépistage du cancer de l’utérus pour les femmes de moins de 25 ans. Résultat? Des jeunes femmes ont dû combattre un cancer avancé alors que leur état aurait pu être détecté plus tôt. Clairement, la devise inavouée du NICE est «si tu coûtes trop cher, on te laisse crever».

Le réseau québécois de la santé est en difficulté. Des solutions s’imposent, certes, mais l’expérience britannique devrait tout au moins nous renseigner sur les avenues à éviter. Malgré tout, certains affirment que le recours à l’État est incontournable. Pour eux, la santé n’étant pas un service comme les autres, on ne peut se fier au marché. Vraiment? C’est ce que nous vérifierons la semaine prochaine.

Nathalie Elgrably-Lévy est économiste senior à l’Institut économique de Montréal.

* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.

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