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Textes d'opinion

Le silence des patrons – Le poids politique des gens d’affaires restera négligeable s’ils ne se serrent pas les coudes

Il y a quelques jours, La Presse rapportait qu’un groupe de syndiqués de la CSN, mécontent de la tournure des événements entourant le conflit de travail chez Quebecor, avait manifesté autour de la tombe de Pierre Péladeau.

Mis à part la dénonciation de Pierre Karl Péladeau, l’événement a suscité peu ou pas de commentaires de la part des ténors du monde des affaires ou des divers commentateurs politiques et économiques.

Pourtant, imaginez un seul instant qu’il me vienne à l’idée d’aller manifester sur la tombe de Louis Laberge avec une centaine de mes amis. Je peux vous assurer que l’ensemble de l’establishment syndical et journalistique du Québec me tomberait sur la tomate pendant plusieurs semaines, et ce, à juste titre.

Au-delà des faits particuliers de cet incident, tout cela en dit beaucoup sur le climat d’idées au Québec et sur l’incroyable double standard qui existe entre, d’une part, les syndicats et, d’autre part, le patronat.

Permettez-moi de vous raconter une anecdote (non diffusée publiquement jusqu’à ce jour) afin d’illustrer la toute-puissance des syndicats au Québec et, à l’inverse, la faiblesse relative du monde patronal.

Au moment où je présidais le Conseil du patronat du Québec, j’avais entrepris une campagne publique afin de permettre aux travailleurs de pouvoir voter quand ils font l’objet d’une tentative de syndicalisation. Oui, oui, chers lecteurs, vous ne rêvez pas en lisant ces lignes. Actuellement, ces derniers n’ont pas la possibilité de s’exprimer dans le cadre d’un vote secret en bonne et due forme puisque cela se fait par signature de cartes. Rien n’empêche, et le cas de Wal-Mart à Jonquière en est un bon exemple, les agents de syndicalisation de se présenter au domicile du travailleur, et ce, même à plusieurs reprises en cas de refus initial par ce dernier.

Qui plus est, la loi actuelle n’oblige pas le syndicat à consulter tous les travailleurs visés par la demande d’accréditation. Ainsi, si, par exemple, un travailleur est connu comme étant notoirement sceptique envers les syndicats, on peut tout simplement l’ignorer. Mais, une fois l’accréditation syndicale obtenue, on pourra alors le forcer à payer une cotisation en vertu de la formule Rand.

Bref, au Québec, un travailleur peut se retrouver forcé à payer une cotisation syndicale sans même ne jamais avoir eu au préalable l’occasion de s’exprimer. Du point de vue de l’employeur, cela soulève, dans certains cas, des doutes quant à la volonté réelle des travailleurs de se syndiquer et, donc, quant à la légitimité du syndicat.

Dans les jours suivant cette campagne publique, j’ai reçu une lettre laconique de la part d’une entreprise membre du CPQ mentionnant qu’elle ne souhaitait pas renouveler son membership à notre association. Aux fins de cet article, nous appellerons cette entreprise XYZ. La semaine suivante, à l’occasion d’une réunion du conseil d’administration de la CSST, un leader syndical bien connu m’avait approché dans le corridor, l’air narquois, en me disant: «Tu sais, le cas de l’entreprise XYZ, c’est juste un avertissement. Si tu continues avec ton affaire de scrutin secret obligatoire, il va y en avoir d’autres!»

Plusieurs mois plus tard, le vice-président exécutif de l’entreprise en question m’avouait à demi-mot qu’il avait annulé son membership à la demande du leader syndical en question afin «d’éviter d’avoir du trouble avec ce syndicat vu qu’ils nous réfèrent de la business».

De même, il faut savoir les revenus annuels totaux des trois principales organisations représentant les entreprises au Québec (FCCQ, CPQ et FCEI) oscillent autour de 6 à 7 millions de dollars alors que les revenus annuels totaux des trois principales centrales syndicales québécoises sont de l’ordre de 700 millions, excluant l’argent (et donc, le pouvoir) qui se trouve dans leurs fonds fiscalisés.

On peut aimer ou non Pierre Karl Péladeau. Personnellement, j’ai découvert, au fil des ans, un homme attachant et généreux de sa personne. Mais aussi, et je dirais même surtout, j’ai appris à l’apprécier, car il sait manifester du courage et de la résilience face au pouvoir syndical comme très peu osent le faire au Québec.

Les gens d’affaires du Québec devront apprendre à manifester davantage de solidarité et de courage. Ils devront aussi s’organiser autrement mieux qu’ils ne le sont actuellement. Sinon, leur poids politique demeurera ce qu’il est, c’est-à-dire négligeable.

Les politiciens québécois, indépendamment de leur idéologie officiellement déclarée, font un calcul simple: quand ils déplaisent aux syndicats, ils subissent des manifestations et des dénonciations publiques constantes. Mais, à l’inverse, quand ils déplaisent aux entreprises, le coût politique est à peu près nul. Dans un tel contexte, que croyez-vous qu’ils soient naturellement portés à faire?

Michel Kelly-Gagnon est président et directeur général de l’Institut économique de Montréal et ancien président du Conseil du patronat du Québec.

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