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Textes d'opinion

Le budget du déshonneur

Le budget déposé mardi par Ottawa a été concocté, nous dit-on, de manière à relancer l’économie. La vérité, c’est qu’il a été conçu dans l’espoir de sauver le gouvernement conservateur des griffes de ceux qui réclament depuis des mois un plan de relance d’envergure. Stephen Harper a renié ses croyances pour satisfaire sa soif du pouvoir. Il a agi par opportunisme plutôt que par conviction, mais le tour de charme a échoué. Il a perdu des partisans, mais compte toujours autant de détracteurs qui, comme on pouvait s’y attendre, lui reprochent maintenant de ne pas en faire suffisamment!

On entend partout que l’État doit injecter des sommes massives pour encourager la production et relancer la consommation. Un économiste de la Banque TD a même déclaré qu’il faudrait dépenser 85 milliards pour éliminer tout fléchissement de l’économie. Mais avant d’adhérer aveuglément à cette théorie, une question s’impose: d’où vient l’argent dépensé par l’État? Est-ce le Père Noël qui lui en fait cadeau? Est-ce un don céleste?

Si ce n’est pas le cas, cela signifie que pour «injecter» un dollar, Ottawa doit taxer les contribuables, ou emprunter. Comme il nous a gentiment accordé des réductions d’impôts, il est contraint d’emprunter pour financer ses déficits. Par conséquent, les dépenses publiques ne font que remplacer celles des individus. On substitue les dépenses de la main droite à celles de la main gauche. Il y a redistribution, mais aucune création de richesses. Prétendre le contraire, c’est vendre un rêve!

Toutefois, l’économie, c’est comme un jeu de dominos. On en fait tomber un, et on déclenche une réaction en chaîne. Les dépenses publiques exercent donc un impact bien réel sur l’économie, mais pas nécessairement celui qu’on imagine. De nombreuses études, dont celles de R. Barro de l’université Harvard, ont d’ailleurs démontré que, loin de relancer l’économie, la hausse des dépenses gouvernementales compromet la croissance économique future!

Pourquoi? Simplement parce que l’augmentation de notre niveau de vie est tributaire des améliorations de la productivité. Aucun économiste digne de ce nom ne peut prétendre le contraire. Quant à la productivité, elle est fonction de nos investissements en capital physique productif, c’est-à-dire en machinerie, en équipement, etc. Or, pour investir, il faut emprunter. Comme les fonds disponibles ne sont pas infinis, chaque dollar qu’Ottawa emprunte pour payer l’«épicerie», c’est un dollar qui n’est plus disponible pour financer des investissements productifs. Notre productivité augmente lentement, et notre niveau de vie dans le futur est compromis. C’est dommage, mais c’est la réalité! Quant aux dépenses en infrastructures, elles ne débuteront pas avant plusieurs mois. D’ici là, nous seront probablement déjà sorti de la récession!

Le plus ironique, c’est que le budget est non seulement lamentable du point de vue économique, mais également suicidaire du point de vue politique. Peut-être permettra-t-il à Stephen Harper de rester au pouvoir une année de plus. Mais celui-ci sera cloué au pilori dès que la preuve sera faite que ses initiatives budgétaires nous ont considérablement endettés sans générer la croissance escomptée. On lui reprochera alors tous les troubles économiques, et l’opposition le diabolisera sans scrupules en oubliant que c’est pour la contenter qu’il avait ainsi retourné sa veste.

Stephen Harper réalisera alors que ce sont précisément ses efforts pour rester premier ministre qui permettront aux Libéraux de gagner le pouvoir et d’y rester longtemps. Peut-être comprendra-t-il, certes trop tard, que vendre son âme au diable est un échange duquel on sort toujours perdant!

Nathalie Elgrably-Lévy est économiste senior à l’Institut économique de Montréal.

* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.

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