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Textes d'opinion

S’endetter pour s’enrichir?

Trois nouvelles ont retenu mon attention au cours de la dernière semaine. D’abord, Stephen Harper nous annonce que son prochain budget sera accompagné d’un déficit pouvant atteindre 40 milliards $. Ensuite, Michael Ignatieff menace de renverser le gouvernement si ce dernier ne propose pas un plan de relance suffisamment ambitieux. Finalement, la Banque du Canada annonce une autre réduction de son taux directeur qui atteint maintenant un creux historique de 1%.

Trois nouvelles, mais un objectif commun: relancer l’économie en privilégiant un endettement de l’État, en incitant à la consommation et au crédit, et en décourageant l’épargne. Une question s’impose alors: que devrait faire une famille fortement endettée qui voit sa situation financière se détériorer parce qu’un membre a perdu son emploi? Devrait-elle (a) couper ses dépenses, épargner et rembourser sa dette sans la mesure du possible? ou (b) augmenter ses dépenses, contracter un emprunt bancaire et maximiser le solde de sa carte de crédit?

Si vous avez répondu (a), c’est que vous faite preuve de gros bons sens. Vous avez compris l’origine du problème, et vous tentez de le corriger en modifiant vos comportements. Si vous avez répondu (b), c’est que vous travaillez pour une Banque centrale, ou que vous faites de la politique!

Depuis plusieurs semaines, on entend qu’il faudrait consommer plus et épargner moins pour sortir de la crise. Or, cette recommandation n’aurait été logique que si les troubles actuels étaient causés par une épargne excessive et une consommation insuffisante. Or, c’est tout le contraire!

Le taux d’épargne est pratiquement nul, tandis que le taux d’endettement des Canadiens frise 150% de leur revenu. Nous vivons au-dessus de nos moyens, le nombre de faillites personnelles et de prêts hypothécaires en souffrance a enregistré une hausse inquiétante, et l’endettement des gouvernements constitue un réel fardeau. Malgré tout, personne ne souligne l’urgence de se refaire une santé financière. Nous sommes individuellement et collectivement fauchés, et on veut nous inciter à emprunter. S’endetter pour s’enrichir, c’est aussi absurde que d’encourager un obèse à manger pour perdre du poids.

L’Afrique

Et puis, si le fait de s’endetter permet de stimuler l’économie, pourquoi l’Afrique sub-saharienne est-elle plus pauvre que jamais malgré un endettement colossal? Et pourquoi a-t-on longtemps revendiqué l’annulation de sa dette pour lui permettre de sortir de la misère? Faut-il comprendre qu’une dette est bénéfique dans le cas canadien, mais néfaste s’il s’agit de l’Afrique?

En dépit des conséquences liées à l’endettement, on entend partout qu’il faut des mesures semblables à celles adoptées par Roosevelt dans le cadre du New Deal. À cet égard, voici ce que Henry Morgenthau, secrétaire au Trésor sous Roosevelt, déclarait en mai 1939 lors d’une allocution à Washington (traduction libre): «Nous avons essayé (de relancer l’économie) en dépensant de l’argent. Nous dépensons plus que jamais, mais ça ne fonctionne pas! Après sept ans de cette administration, le taux de chômage est toujours aussi élevé qu’au départ … avec en plus une énorme dette à rembourser.»

Si dépenser et s’endetter n’a rien donné dans les années 1930, pourquoi en serait-il autrement aujourd’hui? Nous aurions intérêt à apprendre des erreurs du passé. Or, nous nous apprêtons à les répéter. Et quand nous constaterons l’échec des plans de relance, nos bien-pensants argueront que nous n’avons pas dépensé suffisamment, qu’il faudrait en faire plus. Quand comprendrons-nous que ce n’est pas l’ampleur des plans de relance qui pose problème, mais la nature même de ces plans?

* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.

Nathalie Elgrably-Lévy est économiste senior à l’Institut économique de Montréal.

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