fbpx

Textes d'opinion

Listériose, salmonellose, psychose… Comprendre la panique

Notre hystérie collective envers les contaminations alimentaires, ces jours-ci, est-elle exagérée? D’abord, la question ne se pose pas. Bien sûr qu’il existe un affolement sans précédent, et que certains sombrent carrément dans l’irrationnel. Par contre, non seulement faut-il se demander si oui ou non panique il y a, mais il faut surtout tenter de comprendre pourquoi portons-nous autant d’attention aux épisodes de contaminations alimentaires. Certains vont blâmer la couverture médiatique exagérée. Peut-être, mais la réponse n’est malheureusement pas aussi simpliste que cela.

D’abord, regardons les faits. Au Canada, on rapporte chaque année au moins 1000 flambées comprenant de 5000 à 6000 cas. Ce nombre ne représente probablement que 1% des cas réels. Dès lors, les intoxications alimentaires et épisodes ne sont pas hors du commun au Canada. Or, le cas de Maple Leaf mets en lumière une problématique majeure. La sophistication de nos réseaux de distribution alimentaire surpasse maintenant la capacité de nos instances gouvernementales en matière de salubrité alimentaire, c’est-à-dire pour superviser l’industrie de façon adéquate. Selon une étude publiée récemment, à peine 2% de tout ce que l’on ingère est inspecté physiquement par des compétences publiques. L’industrie alimentaire génère plus de 100 milliards $CDN en revenus par année, et nous importons plus de 25 milliards $CDN de produits alimentaires au Canada. Le système est vaste, complexe, et nos inspecteurs ont visiblement du mal à suivre la cadence.

Les Canadiens sont grossièrement mal servis par notre système de salubrité alimentaire. Lors d’un rappel ou d’un incident majeur, les Canadiens ont soif d’information, et les médias agissent à titre d’éducateur public en temps de crise. Ceux-ci comblent un vide considérable. Durant l’épisode de Maple Leaf, les consommateurs réalisent à quel point nos systèmes de surveillance se conjuguent mal avec l’architecture commerciale de nos produits alimentaires. Pire encore, en concédant que sa compagnie était responsable d’au moins la mort de huit canadiens, monsieur McCain, le président de Maple Leaf, mentionnait que le système fonctionne à merveille et que le statu quo est acceptable. Monsieur McCain a raté là une chance en or d’inviter le Canada à réformer ses façons de faire en matière de salubrité alimentaire, surtout en ce qui concerne la communication du risque.

La double responsabilité actuelle de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) nuit à son efficacité. Si sa première responsabilité est de pratiquer une recherche scientifiquement rigoureuse produisant des résultats contrôlés et contrôlables au sein de l’industrie agroalimentaire, la deuxième s’exerce à l’égard des sociétés. Elle doit composer avec les industriels et protéger les consommateurs en même temps. En soi, le mandat actuel de l’ACIA met cette instance en conflit d’intérêts. En Europe, en Asie et même en Océanie, il y longtemps que ce problème a été réglé. Ces pays ont créé des agences indépendantes qui se rapportent directement aux législateurs. D’ailleurs, le cas de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande est particulièrement intéressant pour le Canada puisqu’il existe là-bas une dynamique politico-économique semblable à celle du Canada et des États-unis. En 1991, ces deux pays ont uni leur destiné en matière de salubrité alimentaire en créant le Food Standards Australia New Zealand (FSANZ). Cette agence s’intéresse spécifiquement aux standards et réglementations des deux pays en informant les consommateurs de façon proactive. Ces deux pays mettent une importance capitale sur l’harmonisation des méthodes de surveillance et des rappels alimentaires.

Ainsi, les Australiens et les Néo-Zélandais se sont dotés d’un système transparent et responsable à l’égard des consommateurs. La FSANZ entretient, depuis presque 17 ans, une relation étroite avec sa population. Bien entendu, pour les industriels, cette approche intégrée favorise l’amélioration continue des systèmes de sécurisation au sein des canaux de distribution puisque la FSANZ génère des données stratégiques à haut niveau.

Dans plusieurs pays industrialisés, le mandat premier des agences de salubrité alimentaire est d’éduquer et d’informer la population des risques sous-jacents aux systèmes complexes de distribution alimentaire. En général, avec une approche scientifique rigoureuse, l’ACIA gère bien le risque durant les rappels et les visites, mais son mandat actuel ne lui permet pas de bien communiquer le risque à la population canadienne. Son mandat et son rôle doivent être modifiés. Une nouvelle agence indépendante en Amérique du Nord se préoccupant principalement des craintes et peurs des consommateurs doit être créée afin de favoriser une approche transparente. Avec une telle agence, nous risquons de mieux gérer l’anxiété des consommateurs et d’éviter les débordements futiles. Évidemment, ceci est plus facile à dire qu’à faire.

Tout compte fait, le cas de Maple Leaf marquera l’histoire par son ampleur et ses ratés. Mais il est encore trop tôt pour croire que tous nos rappels alimentaires en succession auront un impact significatif à l’égard des consommateurs canadiens. Tant et aussi longtemps que les consommateurs canadiens ne valoriseront pas la salubrité avec des piastres, au même titre que le biologique ou le commerce équitable, par exemple, nous continuerons d’avoir des rappels dévastateurs comme celui de Maple Leaf.

Sylvain Charlebois est chercheur associé à l’IEDM.

Back to top