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Textes d'opinion

Un marché prometteur s’ouvre pour le bois

Le Livre vert «La forêt, pour construire le Québec de demain» propose plusieurs orientations susceptibles de modifier en profondeur la gestion des forêts publiques du Québec. Plusieurs de ces mesures auront sans aucun doute des résultats positifs. Pour la plupart, cependant, ce sont les dispositions prises en vue de leur application qui détermineront les gains ou les pertes qui seront obtenus. C’est le cas de l’abolition des contrats d’approvisionnement et d’aménagement forestier (CAAF) et de la création d’un marché pour la matière ligneuse provenant de la forêt publique.

Plusieurs des avantages qui découlent de l’existence d’un tel marché sont décrits dans le Livre vert. Un marché permet d’établir la valeur du bois de différentes qualités sans intervention gouvernementale. Il favorise l’approvisionnement des usines les plus concurrentielles et les plus innovantes en multipliant le volume de bois qui leur est accessible, un facteur important pour la moitié des usines, qui n’a actuellement pas accès au bois de la forêt publique. Il rompt le lien entre les redevances exigées pour ce bois et le prix du bois de la forêt privée, régi jusqu’à maintenant par les décisions de la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec (RMAAQ).

Un tel marché présente aussi d’autres avantages (voir la Note économique Comment résoudre la crise du secteur forestier? publiée en novembre 2007). Il dépolitise l’approvisionnement des usines puisque l’accès au bois de la forêt publique ne dépend plus d’une décision ministérielle. Du même coup, il augmente la marge de manœuvre du gouvernement par rapport aux usines en difficulté, puisque le ministre n’est plus juge de leur approvisionnement et donc de leur survie. Enfin, il coupe l’herbe sous le pied des concurrents américains qui ont obtenu de leur gouvernement des mesures protectionnistes en argumentant, entre autres, que les redevances exigées par le gouvernement québécois étaient si basses qu’elles constituaient des subventions déguisées.

Ces nombreux avantages confirment la pertinence, dans le contexte actuel, de créer un marché pour la matière ligneuse. Or, l’abolition des CAAF et leur remplacement par un droit de premier preneur ne constituent pas des conditions essentielles à la création de ce marché. En effet, le Livre vert confirme la fermeture définitive de 51 usines et l’arrêt pour une période indéterminée de 87 autres depuis avril 2005. En tenant compte des dispositions législatives récemment adoptées concernant la révocation des CAAF à la suite de l’arrêt des opérations d’une usine, le ministre dispose déjà d’un volume important lui permettant de créer un marché, auquel il pourrait ajouter le bois provenant de la forêt privée, en les retirant du champ d’action de la RMAAQ. Ensemble, ce bois et celui provenant des territoires de CAAF déjà résiliés représenteraient près de la moitié de l’approvisionnement total des usines de première transformation. Cela permettrait d’accélérer le processus de mise en place d’un marché concurrentiel du bois pour que ce dernier soit fonctionnel bien avant 2013, l’échéance prévue dans le Livre vert.

Au chapitre des inconvénients, il semble inévitable, dans le cadre des orientations du Livre vert, que le prix du bois transigé sur ce marché sera plus élevé que le prix du bois provenant des territoires sous CAAF. En effet, le Livre vert énumère les coûts qui devront être inclus dans un prix plancher de vente du bois. Plusieurs de ces coûts sont déjà assumés actuellement par les détenteurs de CAAF, mais rien ne garantit qu’ils n’augmenteront pas.

De plus, d’autres coûts sont ajoutés aux frais présentement assumés par l’industrie (ex.: achat des plants de reboisement) ou sont tout simplement nouveaux (ex.: coûts de fonctionnement du bureau de mise en marché du bois). Enfin, les usines les plus susceptibles de mettre la main sur ce bois sont celles qui disposent d’une plus grande marge bénéficiaire, ce qui leur permet de payer plus cher leur approvisionnement. Il est par conséquent vraisemblable que le prix du marché pour le bois provenant de la forêt publique soit plus élevé que le coût du bois provenant des CAAF. Or, le Livre vert prévoit que les usines disposant d’un droit de premier preneur devront payer le prix du marché pour tout le volume accordé par ce droit.

Un coût d’approvisionnement plus élevé ne constitue pas en soi une catastrophe en regard des avantages évoqués plus haut découlant de l’existence d’un marché pour le bois. Malheureusement, les entreprises forestières du Québec doivent déjà absorber un coût de bois qui est parmi les plus élevés en comparaison de ceux payés par leurs concurrents canadiens et internationaux. La hausse récente du dollar canadien a exacerbé ce problème face à notre principal marché, les États-Unis. Toute nouvelle augmentation de coûts provoquera une autre ronde de fermetures parmi les usines qui ont jusqu’à présent résisté à la crise qui ébranle le secteur forestier québécois.

Bien que des mesures de transition puissent amoindrir le choc de cette réforme sur l’économie des régions, le retour de la compétitivité et des profits qui en découleront ne sera pas facile à accomplir et passera nécessairement par une consolidation des principales entreprises du secteur forestier. Pour en assurer la survie, il faut donc miser sur les usines et les entreprises les plus dynamiques et s’assurer que les forces du marché jouent en leur faveur et leur permettent de grandir.

André Duchesne, ing.f., est chercheur associé à l’Institut économique de Montréal et ancien président de l’Ordre des ingénieurs forestier du Québec ainsi que de l’Association des industries forestières du Québec.

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