Les vaches à lait
Je savais que ma chronique de la semaine dernière sur le cartel du lait allait déplaire aux producteurs laitiers. Toutefois, je n’aurais jamais cru qu’un si petit texte pouvait provoquer une telle montée de lait.
Plusieurs producteurs laitiers m’ont souligné à quel point leur métier est difficile. La pénibilité de la tâche est indiscutable, mais cela rend-il tabou toute remise en question du système de gestion de l’offre (SGO)? Est-ce un sacrilège de dénoncer ses aberrations sous prétexte que les vaches ne prennent jamais congé?
Une lectrice m’a écrit que «notre SGO avantage grandement le consommateur». Marcel Groleau, président de la Fédération des producteurs de lait, a également affirmé que «le modèle canadien favorise une production locale (…) au bénéfice des citoyens (…)». Balivernes! Les Québécois ont supporté une hausse de 15% du prix du lait depuis 2004, ce qui équivaut à deux fois l’inflation. En quoi sont-ils donc avantagés?! Si le lait est véritablement plus cher ailleurs dans le monde, pourquoi les producteurs tiennent-ils absolument à des tarifs douaniers de plus de 200 % pour se protéger de la concurrence étrangère?
Certes, les États-Unis et l’Europe accordent des subventions à leurs producteurs. Mais si ceux-ci souhaitent taxer leurs citoyens pour vendre du lait moins cher aux Canadiens, doit-on vraiment les en empêcher?
Dans sa lettre ouverte, M. Groleau déclarait que j’ai du culot de réclamer une déréglementation au nom des plus pauvres. Mais n’est-il pas effronté d’occulter le fait que les prix gonflés appauvrissent les Québécois et nuisent à toutes les industries qui utilisent du lait ou des fromages comme matières premières? C’est lui qui a du culot pour affirmer que les «producteurs tirent leurs revenus du marché» alors que le SGO, mis en place par l’État, s’apparente à un pouvoir de taxation accordé aux producteurs, ce qui n’est guère mieux que des subventions.
Une lectrice affirme que «les quotas de production de lait favorisent les producteurs». Ils constituent effectivement un actif qui prend de la valeur au fil du temps. En vendant leurs quotas aujourd’hui, certains producteurs laitiers pourraient encaisser environ $1,5 million. Évidemment, celui qui espère exploiter une ferme doit débourser le même montant pour acheter les indispensables quotas, ce qui décourage nettement la relève. Or, acheter un quota, c’est acheter le droit de produire et de vendre du lait. N’est-il pas absurde de dépenser $1,5 million uniquement pour obtenir l’autorisation de produire du lait? En quoi le fait d’obliger les nouveaux producteurs à acheter à grands frais un actif non productif est-il avantageux?
On peut employer des expressions aseptisées comme «système de gestion de l’offre», on peut vanter les vertus d’un tel système et partir en croisade contre quiconque le remet en question, mais personne ne pourra changer la réalité: il existe bel et bien un cartel du lait au Québec, les prix sont artificiellement gonflés, les quotas avantagent les producteurs existants, et ce sont les consommateurs qui en font les frais!
À en juger par les violentes réactions qu’a suscitées ma chronique de la semaine dernière, on peut comprendre pourquoi les politiciens n’osent jamais douter de la pertinence du SGO. En tant que consommateurs, nous sommes impuissants face au puissant lobby des producteurs laitiers. Mais de grâce, qu’on ne tente pas de nous faire croire que le SGO nous avantage alors que nous en sommes les véritables vaches à lait!
* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.
Nathalie Elgrably est économiste à l’Institut économique de Montréal et auteure du livre La face cachée des politiques publiques.