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Textes d'opinion

Espèce menacée

On entend souvent parler des espèces menacées. Leur vulnérabilité nous indigne, et leur extinction imminente nous révolte. Certains consacrent même leur vie à la préservation des espèces en danger. Pourtant, quelque chose de malheureux est en train de se produire sans que personne ne s’en soucie: il s’agit de l’érosion graduelle, mais soutenue de nos libertés!

Tous les aspects de notre vie sont surveillés: on nous dit quoi acheter, quoi manger, quels moyens de déplacement privilégier, quel véhicule conduire, quelles chaînes de télé écouter, on nous impose même la couleur de la margarine. Bref, il y a toujours un fonctionnaire omniscient ou un groupe de pression moralisateur pour nous recommander ou pour nous imposer le «bon» comportement, comme si nous étions incapables de juger par nous-mêmes.

La dernière offensive en règle contre la liberté a été déclenchée par la California Energy Commission (CEC) alors qu’elle a proposé des modifications à sa politique énergétique. Par souci d’«efficacité» énergétique, elle propose que toute résidence qui sera construite ou rénovée soit équipée d’un thermostat contrôlable à distance. Et qui aurait le contrôle de ces nouveaux thermostats? Le propriétaire de la résidence? Pas uniquement! Les thermostats seraient aussi contrôlés par… des organismes gouvernementaux!!!

Si la température d’une chaumière déplaît aux fonctionnaires, ils auraient le pouvoir de la modifier à leur guise. De plus, le thermostat serait conçu de telle sorte que l’occupant du logement ne puisse changer lui-même la température pendant les périodes où les fonctionnaires en prennent le contrôle. La CEC espère en plus faire avaler des couleuvres aux Californiens en affirmant qu’elle ne se servirait de ce nouveau pouvoir qu’en cas d’urgence.

Réduire la consommation d’énergie est un objectif honorable, mais faut-il pour autant abdiquer toute liberté au profit d’un État «bienveillant»? Pourquoi permettre à des fonctionnaires de commander les thermostats alors qu’une simple hausse du prix de l’énergie suffit pour inciter les gens à réviser leurs habitudes de consommation?

Heureusement, le projet de la CEC vient d’être abandonné suite aux réactions négatives de la population! Si un tel projet était accepté, personne ne pourrait dire ce dont l’État serait capable au nom de l’efficacité énergétique ou de toute autre bonne cause. Pourquoi ne contrôlerait-il pas les interrupteurs pour réguler la consommation d’électricité? Et, tant qu’à faire, pourquoi n’éteindrait-il pas à distance toutes les télévisions à 22h afin que la population bénéficie d’une bonne nuit de sommeil, et réduise ainsi les coûts du système de santé?

S’il est vrai qu’un cadre réglementaire est indispensable au bon fonctionnement d’une société, il est également exact d’affirmer qu’une réglementation excessive, opprimante et paternaliste devient une nuisance et une source de frustrations. Alors, comment expliquer que des individus raisonnables et rationnels acceptent volontiers une intrusion tentaculaire de l’État dans leur vie, et sacrifient toujours un peu plus leurs libertés? Comment expliquer que des populations entières préfèrent la contrainte à la liberté, la dépendance à l’autonomie, la soumission à l’affranchissement? Et surtout, comment se fait-il que l’élite intellectuelle, qui se prétend instruite et émancipée, non seulement accepte sans sourciller la multiplication des contraintes, mais en fasse également la promotion?

Même si la proposition de la CEC a été rejetée, ce qui est le plus troublant est de savoir que des fonctionnaires ont sérieusement envisagé d’adopter une pareille mesure. À force de vouloir créer un paradis, ils finiront par nous faire vivre en enfer!

* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.

Nathalie Elgrably est économiste à l’Institut économique de Montréal et auteure du livre La face cachée des politiques publiques.

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