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Textes d'opinion

Des promesses en l’air?

Des politiciens peuvent bien penser à long terme, mais c’est à court terme, sur la foi d’un échéancier clair et précis, qu’il faut juger leurs promesses.

À l’approche des élections, non seulement à Québec, mais aussi à Toronto et à Ottawa, parions que nous recevrons bientôt un déluge d’énoncés de vision, de budgets pré-électoraux et d’engagements de toutes sortes. Les gouvernements sortants et les partis d’opposition rivaliseront d’ingéniosité pour proposer tantôt des projets précis susceptibles de frapper l’imagination, tantôt des visions d’avenir porteuses d’espoir.

Il s’agit d’un exercice de haute voltige, car les politiciens savent que leurs promesses seront non seulement scrutées avant l’élection, mais aussi au terme de leur mandat lorsque viendra le temps de rendre des comptes.

Dans une étude portant sur la période 1984-1988, le politologue Denis Monière a estimé que le gouvernement Mulroney avait réalisé les trois quarts de ses promesses électorales. Aux États-Unis, le score de fiabilité oscillerait entre 70 et 75% depuis 50 ans. Cependant, ce taux de réalisation porte sur tous les types de promesses, même les moins importantes. Quant aux promesses non réalisées, les raisons vont de la perte du pouvoir au dépassement de coûts, en passant par le simple changement de cap.

La non-réalisation d’une promesse majeure peut représenter un boulet pour un gouvernement sortant. Et pour gérer ce risque, certains partis ont préféré axer leur campagne sur des orientations générales, évitant de s’enferrer dans des promesses qui pourraient éventuellement les hanter. Rappelons par exemple la dernière campagne de Paul Martin, axée sur de soi-disant «valeurs canadiennes».

D’autres gouvernements ont plutôt choisi de proposer des objectifs à long terme. Quand l’échéance de réalisation dépasse l’horizon d’un mandat, ceux-ci ne peuvent être tenus responsables en cas de non-réalisation.

Ainsi, le gouvernement conservateur a dû avouer ce que beaucoup d’experts savaient déjà, soit que le Canada est incapable d’atteindre les objectifs qu’avait fixés le précédent gouvernement libéral en ratifiant le protocole de Kyoto en 2002. Jusqu’à ce réveil inopiné, tout baignait: sous l’effet lénifiant des discours officiels et des plans d’action tous plus vertueux les uns que les autres, nous vivions depuis neuf ans dans l’illusion tranquille que nous faisions notre effort pour «sauver la planète», en dépit des chiffres démontrant une croissance soutenue des émissions de gaz à effet de serre (GES). Pour atteindre les objectifs du traité, il aurait fallu des moyens bien plus considérables que ceux prévus par l’ancien gouvernement libéral, et surtout, commencer bien plus tôt.

Mais ce décalage entre l’ambition des objectifs et la modestie des moyens mis en oeuvre est loin d’être l’apanage des questions environnementales.

L’ancien gouvernement du Parti québécois avait annoncé un plan de réduction de la taxe sur le capital, laquelle devait diminuer de 0,64% en 2002 à 0,37% en 2006, donc au-delà de la limite de son mandat. Arrivé au pouvoir, le gouvernement libéral, invoquant la précarité des finances publiques, a eu tôt fait d’en reporter l’échéancier, de sorte que le taux de cette taxe est demeuré à 0,49%.

En 2006, le gouvernement Charest annonçait un nouveau pacte fiscal avec les municipalités en vertu duquel celles-ci verraient presque doubler – de 2006 à 2013 – les sommes qui leur sont versées par Québec. À court terme, en 2007, ce pacte accorde 5% d’augmentation annuelle aux municipalités. Mais en 2012, donc après la fin d’un éventuel second mandat, ce sera 15% d’augmentation par année. Plus l’horizon est lointain, plus on est généreux!

À Ottawa, le ministre des Finances Jim Flaherty a également eu recours à cette manoeuvre. Dans son budget de mai 2006, il annonçait que le taux d’imposition général des sociétés serait réduit à compter du 1er janvier 2008, donc 19 mois suivant l’annonce. Une éternité en politique, surtout pour un gouvernement minoritaire.

Comment expliquer tous ces cas où l’ambition des objectifs à long terme fait contraste avec le réalisme, voire la modestie des moyens mis en œuvre à court terme pour les atteindre? C’est que cette approche permet aux gouvernements à la fois de donner espoir au groupe d’intérêts auquel la promesse est destinée, tout en respectant dans l’immédiat la contrainte du réel.

Certes, une vision à long terme est nécessaire pour réaliser de grandes choses. Mais il est aussi vrai, comme dans la fable, que les lièvres qui comptent sur la fin du parcours pour rattraper le temps perdu ont souvent de la difficulté à gagner la course.

Au fond, c’est à nous, électeurs, de changer notre façon d’apprécier les plans gouvernementaux et les programmes politiques. La prochaine fois qu’un politicien nous fera miroiter une vision qui pourrait se réaliser dans dix ans, félicitons-le pour avoir pensé à long terme. Mais, aux fins du vote, ne retenons que ce qu’il s’engage à faire d’ici la fin de son mandat, sur la foi d’un échéancier clair et précis.

Paul Daniel Muller est président de l’Institut économique de Montréal.

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