L’argent ne fait pas le bonheur, sauf que…
Vous avez été très nombreux à réagir à ma trilogie Suède-Irlande-Québec. Comme les partisans de la gauche sont incapables de contester le fait que l’État-providence appauvrit, j’ai eu droit à la réponse ultime, celle que l’on brandit lorsqu’on est en panne d’argument: «C’est bien beau la prospérité, mais l’argent ne fait pas le bonheur!»
À travers cette affirmation, c’est toute la quête de la prospérité qui est remise en question. Certains ont insisté sur le fait que la qualité de vie d’une nation ne se résume pas à son produit intérieur brut (PIB). Il n’y a rien d’original dans cette déclaration: en 1968 le sénateur Robert Kennedy avait déjà critiqué de manière théâtrale le PIB en soulignant qu’il ne reflète ni la santé des enfants, ni la qualité de l’éducation, ni la beauté de la poésie, ni la solidité des mariages, ni l’intelligence des débats publics, ni l’intégrité des fonctionnaires, ni la sagesse, ni le courage, ni l’attachement à notre pays.
Robert Kennedy avait raison. Et il est juste d’affirmer que l’argent ne fait pas le bonheur. Néanmoins, cela n’invalide pas la recherche de la prospérité. D’ailleurs, qui a jamais prétendu que l’argent pouvait rendre heureux?
Si la création de richesse ne garantit pas le bonheur, elle permet néanmoins d’accroître notre niveau de confort, de bien vivre, et d’accéder à ce qui rend heureux. Il est évident que la croissance économique ne reflète pas la santé des enfants, mais il est incontestable que plus on est riche, plus on dispose des moyens nécessaires pour assurer leur santé. D’ailleurs, dans tous les cas observés, c’est l’enrichissement des pays qui permet la réduction du taux de mortalité infantile.
Le PIB reste également muet quant à la qualité du système éducatif. Mais il est indéniable que sa qualité est fonction de la richesse du pays. En effet, c’est elle qui permet d’améliorer les conditions d’enseignement, de faire l’achat de matériel pédagogique adéquat et d’offrir des bibliothèques bien garnies. Allez donc dire à un enseignant d’une école de fortune en Afrique sub-saharienne que la prospérité économique est accessoire!
Quant à la culture, l’art, la littérature ou la poésie, il faut non seulement un minimum d’éducation pour savoir les apprécier, mais encore les moyens de se procurer des livres et de fréquenter les musées.
Certes, les possessions matérielles ne reflètent pas notre intelligence, notre courage, notre intégrité ou notre sagesse. Or, force est de constater que ces qualités sont mises en évidence chez les individus qui ont le ventre plein et qui n’ont pas à se soucier de la satisfaction de leurs besoins primaires.
La croissance économique n’est pas une fin en soi, et ni l’argent ni les biens ne garantissent le bonheur. La prospérité n’est qu’un moyen d’obtenir ce qui peut contribuer à notre bonheur, qu’il s’agisse de meilleurs soins de santé, de moyens de communication plus sophistiqués, de technologies qui facilitent certaines tâches ou qui les rendent plus sécuritaires, d’innovations qui nous simplifient la vie ou qui assurent la sécurité de nos enfants, etc.
Pour les cartésiens qui ont besoin de preuves empiriques, deux études importantes ont analysé le niveau de bonheur des habitants d’une cinquantaine de pays. Dans les deux cas, les résultats prouvent que les individus ayant les revenus les plus élevés sont les plus heureux.
L’argent ne fait pas le bonheur, sauf que… il y contribue certainement! Si cela est faux, pourquoi alors les gauchistes sont-ils si obsédés par la redistribution de la richesse?
* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.
Nathalie Elgrably est économiste à l’Institut économique de Montréal et auteure du livre La face cachée des politiques publiques.