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Textes d'opinion

Le contrôle des loyers: aussi efficace qu’un bombardement!

Laissons libre cours à notre imagination et essayons de décrire le contexte économique idéal, celui qui permettrait une amélioration constante de notre niveau de vie et de notre confort. Plusieurs rétorqueront sur le champ que le fait de posséder des biens matériels ne nous garantit ni le bonheur ni la sérénité. Cette remarque est très juste et il serait insensé de prétendre le contraire. Mais s’il est vrai que les possessions ne font pas le bonheur, il est également exact d’affirmer qu’elles peuvent y contribuer. Il faut, en effet, reconnaître que la satisfaction de nos besoins matériels est indissociable de notre niveau de vie et que le fait de pouvoir nous procurer aisément les biens convoités nous permet de nous consacrer plus intensivement à la quête du bonheur et à notre épanouissement personnel. D’ailleurs, si le niveau de vie était d’une importance tout à fait secondaire, comment expliquer que tant de Cubains fuient chaque année leur pays à destination des côtes américaines? En revanche, nous n’avons jamais vu de bateaux chargés d’Américains faire le voyage en sens inverse. Comment expliquer également qu’autrefois les Allemands de l’Est acceptaient de courir d’énormes risques pour tenter de passer de l’autre côté du mur alors que l’immigration clandestine était un problème inconnu des dirigeants de l’Allemagne de l’Est?

Puisque le niveau de vie et le confort matériel constituent indéniablement des aspects importants de notre quotidien, nous pourrions échafauder un monde idéal dans lequel les gens pourraient se procurer des biens de qualité et vivre dans des appartements spacieux et confortables. De plus, les gens auraient le choix entre plusieurs marques ou plusieurs producteurs afin de sélectionner les biens et services qui répondent le mieux aux caractéristiques qu’ils recherchent tout en respectant leur budget. Bien entendu, les biens seraient assortis d’une copieuse garantie et les logements seraient bien entretenus et rénovés périodiquement. Et puisque l’imagination ne souffre aucune limite, on pourrait même concevoir une diminution des prix réels au fil du temps, et des loyers abordables qui permettraient à tous de se loger sans difficultés.

On pourrait croire que ce qui précède, bien que fort séduisant, décrit un monde fictif, une utopie à laquelle même les plus idéalistes parmi nous n’oseraient rêver. Pourtant, un examen le moindrement attentif de l’évolution du contexte économique dans lequel nous vivons révèlera que ce rêve est bel et bien une réalité dans plusieurs cas. À titre d’exemple, il y a à peine un demi-siècle la télévision faisait partie de ces biens de luxe réservés à quelques privilégiés particulièrement bien nantis. Des appareils de meilleure qualité et extrêmement sophistiqués sont à présent disponibles et accessibles à tous les budgets, et il en est ainsi pour un très grand nombre de biens. La prospérité économique s’est donc manifestée à travers une hausse soutenue du nombre de biens destinés à satisfaire nos besoins, une hausse constante de la qualité moyenne et un plus grand pouvoir d’achat.

Cependant, force est de constater que cette tendance n’a pas été observée dans tous les secteurs d’activité. Par exemple, malgré la prospérité et la croissance économique importante qui ont été enregistrées au cours des dernières décennies, il reste toujours difficile de se loger convenablement, et de nombreuses familles sont jetées à la rue chaque année. Contrairement à ce que l’on observe pour la plupart des biens, non seulement la qualité des appartements disponibles ne s’améliore pas nécessairement au fil du temps, mais les locataires ont été au cours des dernières années aux prises avec une pénurie de logements. Alors que les marchés nous proposent une quantité inimaginable de biens et services et que les commerçants se livrent une concurrence féroce pour attirer les consommateurs, il en va tout autrement quand il s’agit d’immeubles locatifs. Dès lors, une question logique et tout à fait légitime s’impose: pourquoi le secteur de l’immobilier locatif connaît-il une pénurie alors que l’abondance règne dans la quasi-totalité des autres marchés? Qu’est-ce qui caractérise ce secteur et pourquoi les gens affichent-ils des comportements diamétralement opposés à ceux qu’ils adoptent par rapport à d’autres secteurs?

La pénurie est encore plus inexplicable si nous comparons notre situation actuelle à celle qui a prévalu à San Francisco en avril 1906. Bien qu’un terrible tremblement de terre eût alors détruit la moitié des logements disponibles, tous les habitants de San Francisco avaient été en mesure de se reloger et il n’avait nullement été question d’une pénurie de logements. À peine un mois après l’événement, la rubrique des petites annonces des journaux locaux rapportait davantage de logements à louer et de maisons à vendre que les gens en demandaient. N’est-il pas paradoxal que les habitants d’une ville à moitié détruite aient été en mesure de se trouver un toit rapidement, alors qu’une pénurie de logements sévit depuis quelques années dans plusieurs centres urbains du Québec qui n’ont jamais été victimes de quelque destruction à grande échelle que ce soit?

Beaucoup d’âmes, tout aussi bien pensantes que bien intentionnées, s’efforcent de trouver des solutions à la crise actuelle du logement et préconisent diverses mesures pour «protéger» les ménages les moins bien nantis. Les considérations altruistes, voire philanthropiques, dont font preuve les syndicats, les activistes du logement social ainsi que de nombreux politiciens sont tout à leur honneur. Toutefois, il est regrettable de constater que peu d’entre eux font l’effort d’identifier la cause fondamentale du problème, un exercice pourtant indispensable, et se lancent hâtivement dans des recommandations tout aussi inutiles que chimériques.

Les raisons qui sont le plus souvent invoquées pour expliquer la pénurie de logements sont nombreuses. On entend souvent dire que la croissance démographique, la hausse du nombre de jeunes adultes et la création d’emplois sont responsables de la crise actuelle, car ces facteurs contribuent systématiquement à accroître la demande de logements. Si l’insuffisance d’immeubles locatifs est effectivement causée par les variables qui précèdent, il faut alors se demander pourquoi ces mêmes variables n’occasionnent pas de rareté dans les autres secteurs d’activité. Un nouvel immigrant ou un jeune qui quitte le nid familial créent tous deux une demande de logements, c’est évident, mais n’oublions pas qu’ils vont aussi exercer une demande accrue pour les meubles, la vaisselle, les électroménagers et pour une vaste gamme d’autres biens. Pourtant, seul le secteur du logement locatif affiche une pénurie alors que les autres marchés se sont parfaitement adaptés au nouveau mode de vie des Québécois.

Les facteurs énoncés précédemment offrent certes une explication à la hausse de la demande de logements, mais ils ne nous renseignent pas sur les causes de la crise actuelle. Il reste à déterminer pourquoi les propriétaires et les investisseurs refusent de répondre à la demande croissante en logements, tandis qu’ils déploient des efforts substantiels dans d’autres domaines pour ne jamais laisser la demande insatisfaite. Si nos dirigeants souhaitent sincèrement résoudre la crise du logement, ils ont tout intérêt à se demander pourquoi le logement locatif est le seul marché incapable de répondre à la demande plutôt que de s’acharner à blâmer des facteurs qui sont en réalité étrangers à la crise actuelle.

Le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) estime, pour sa part, que nos gouvernements sont responsables de la crise actuelle, car ils restent passifs face à la situation au lieu d’accroître massivement leurs investissements dans le logement subventionné. Malheureusement, ces Don Quichotte de l’économie omettent, eux aussi, d’identifier la source du problème et ne cherchent pas à comprendre pourquoi le secteur privé multiplie les mises en chantier de condominiums et de maisons unifamiliales alors qu’il boude les immeubles à appartements. Pourtant, avec un taux d’inoccupation aussi bas, les investisseurs devraient se ruer dans la construction de ce type d’habitations. Le secteur privé serait-il affligé d’une myopie sélective ou aurait-il soudainement développé une singulière aversion du profit?

En désespoir de cause, les activistes du logement social attribuent la pénurie à l’appauvrissement des ménages. Peut-être ont-ils accès à des statistiques très exclusives, mais les chiffres divulgués par Statistique Canada et l’Institut de la statistique du Québec suggèrent au contraire un enrichissement des ménages. De 1996 à 2003, le nombre d’emplois a augmenté de 16%, tandis que la population totale n’affichait qu’une modeste hausse de 3,3%. De plus, le produit intérieur brut réel a enregistré une augmentation de 23,4% de 1997 à 2003.

Nathalie Elgrably est économiste à l’Institut économique de Montréal et auteure du livre La face cachée des politiques publiques.

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