Pour ou contre le commerce équitable?
Chantal Harvard (Responsable des communications, TransFair Canada): Dans les années 80, alors que le commerce équitable faisait ses premiers pas dans le secteur du café, le président d’une coopérative de caféiculteurs située au Mexique affirmait: «Nous ne voulons pas de la charité, nous voulons vivre dignement de notre travail et recevoir un prix juste.» En effet, ces producteurs, vivant en majorité dans des régions isolées, vendaient leurs grains de café à des intermédiaires qui ne leur versaient souvent qu’une fraction du prix du café sur le marché mondial.
Tout le système de commerce équitable a été développé afin de reconnaître les coûts réels de production des produits de base qui proviennent du Sud, au-delà des spéculations qui ont lieu sur les marchés internationaux et du contrôle excessif exercé par quelques grandes corporations. Les critères de la certification équitable, en plus d’un prix minimum garanti, font la promotion de relations commerciales directes et transparentes.
Un monde idéal
Dans le monde idéal dépeint par Mme Elgrably, tous les citoyens et organisations à travers le monde seraient égaux en droit, en moyens et en opportunités devant le dieu du libre marché. Et toutes les grandes compagnies engagées dans une compétition féroce, dont l’objectif premier est de faire le plus de profits possibles, ne seraient pas animées que de nobles intentions.
Selon ce crédo, les producteurs de cafés mexicains vivaient dans la misère parce qu’ils n’étaient pas compétitifs. Il s’agit là d’un raccourci assez étonnant, surtout quand on constate le fossé qui va s’élargissant entre pays riches et pays pauvres. En effet, pour quelques exceptions asiatiques, disposant de la main-d’oeuvre qualifiée, combien d’autres pays en développement ont vu leur niveau de vie diminuer et leurs problèmes sociaux s’accroître, même en appliquant à la lettre les recettes néo-libérales de la Banque Mondiale?
Une alternative viable
Le commerce équitable permet à 5 millions de personnes dans les pays du Sud de mieux vivre, de se former, d’envoyer leurs enfants à l’école, de diversifier leur production et d’investir dans des projets communautaires. Loin de créer un marché artificiel, il constitue une alternative viable et pragmatique aux problèmes de pauvreté dans le Sud et à l’incapacité des forces du marché traditionnel à y répondre.
Bien sûr, il ne peut, à lui seul, solutionner tous les problèmes liés à la pauvreté. L’abolition de certaines subventions dans les pays du Nord et l’ouverture de nos marchés aux produits provenant des pays en développement font également partie des solutions.
Les dizaines de millions de Canadiens, Français, Suisses, Américains et autres qui choisissent d’acheter des produits équitables sont bien plus que des consommateurs cherchant à se donner bonne conscience: ce sont des citoyens éclairés qui veulent encourager des pratiques commerciales plus humaines et qui ont compris que les dogmes du libre marché créent souvent plus de problèmes qu’ils n’en règlent.
Nathalie Elgrably (Économiste, IEDM): Les «quelques exceptions asiatiques» que mentionne Mme Havard, ce sont en fait des centaines de millions de personnes en Chine, en Inde, en Corée du Sud, en Indonésie, en Malaisie, au Viet Nam, en Thaïlande et ailleurs, qui sont sortis et continuent rapidement de sortir de la misère. Ils l’ont fait parce qu’ils ont tourné le dos au socialisme et ont instauré des politiques fondées sur la propriété privée, la libre entreprise et l’ouverture au commerce. Il s’agit du plus gigantesque mouvement d’accroissement de la richesse dans l’histoire humaine. Un mouvement qui est en train de transformer le monde, et à côté duquel la mode du commerce équitable apparaît comme totalement insignifiante.
Marché libre
Ce commerce dit «équitable» se présente comme une alternative au commerce traditionnel fondé sur le libre marché. Les groupes qui en font la promotion prétendent avoir trouvé une façon de transporter et de vendre des produits sans passer par les «intermédiaires» traditionnels que sont les multinationales. En réalité, ils sont eux-mêmes devenus de nouveaux intermédiaires, de nouvelles multinationales, qui font concurrence aux autres selon une logique qui ressemble pas mal au capitalisme. Sans la liberté relative des échanges qui est un aspect essentiel d’un marché libre, ils n’auraient en effet tout simplement pas la possibilité de faire ce commerce. Ils nous abreuvent de plus d’intenses campagnes de publicité et de marketing pour nous inciter à acheter leurs produits, comme on a pu le voir au cours de la récente Semaine du commerce équitable. Quoi de plus capitaliste!
Irlande et Estonie
Le commerce équitable est un pur produit de la gauche caviar et se fonde sur la même logique: profiter des bienfaits et de la prospérité du libre marché, tout en levant le nez dessus et en se prétendant moralement supérieur. D’ailleurs, est-il moralement supérieur que des organismes comme TransFair imposent aux producteurs du tiers monde des techniques de production et de gestion? Ces producteurs seraient-ils incapables de déterminer les techniques qui leur conviennent le mieux? Et est-il «équitable» de rompre toutes relations commerciales avec les producteurs qui optent pour d’autres modes de production?
Mme Havard termine en affirmant que «les dogmes du libre-marché créent souvent plus de problèmes qu’ils n’en règlent». Peut-être devrait-elle regarder, en plus des économies asiatiques, les miracles réalisés par l’Irlande et l’Estonie. Peut-être devrait-elle également consulter quelques unes des nombreuses études empiriques menées par des chercheurs de renommée internationale et qui prouvent que la liberté économique est une condition nécessaire à la prospérité.