Le salaire minimum
Dans ma dernière chronique, j’ai expliqué les effets pervers du salaire minimum. Je n’aurais jamais pensé qu’un petit texte de 600 mots dans un journal qui compte plus de 80 pages puisse déclencher autant de réactions!
L’animateur Paul Arcand du 98,5FM y est notamment allé d’une diatribe en ondes contre mon texte. Peut-être était-il alors sous le coup de l’émotion, mais ses commentaires simplistes témoignent de son incompréhension des phénomènes économiques élémentaires. Heureusement, il aura au moins compris une chose, à savoir que je suis favorable à l’abolition du salaire minimum.
M. Arcand semblait dire que nous travaillerions à 2$ l’heure si ce minimum légal n’existait pas. Il confond salaire minimum et salaire maximum, et s’imagine que les employeurs sont disposés à payer tout au plus l’équivalent du salaire décrété par la loi.
Or, il est évident que, même en l’absence du salaire minimum, nous ne travaillerions pas à 2$, car l’employeur ne considère pas uniquement le salaire, mais également les qualifications et les aptitudes des candidats. D’ailleurs, 95% de la main-d’oeuvre gagne plus de 7,75$ l’heure sans que l’État n’ait eu à intervenir, ce qui prouve que les employeurs cherchent surtout des travailleurs efficaces et productifs et qu’ils sont disposés à payer cher pour les attirer.
De plus, à 2$ l’heure, les employeurs rencontreraient vraisemblablement d’énormes difficultés à recruter des candidats. Comment, en cas de pénurie, attirer la main-d’œuvre sinon en lui offrant un salaire plus généreux? Les employeurs se font constamment concurrence pour embaucher les travailleurs qui rapporteront le plus à leur entreprise. Ne sommes-nous pas régulièrement témoins de ce genre de situations?
Donner une chance
Il est donc injustifié de croire que l’abolition du salaire minimum nous réduirait tous à travailler pour quelques dollars. En revanche, le fait de ne pas imposer de minimum légal permettrait aux travailleurs les moins qualifiés d’intégrer le marché du travail. À un taux de 7,75$ l’heure, ils sont incapables de décrocher un emploi, car les employeurs jugent non rentable de les embaucher. Mais s’ils avaient la possibilité d’accepter un salaire un peu moindre, peut-être réussiraient-ils à convaincre des employeurs de leur donner leur chance.
Certes, iIs débuteraient avec un salaire faible, mais ils acquerraient l’expérience et l’expertise nécessaires pour négocier plus tard de meilleures conditions. Ce salaire temporairement faible constitue un investissement dans leur avenir. Qui prétendra qu’il serait préférable pour eux de rester sans emploi? Au nom de quoi tous les bien-pensants, qui se targuent de posséder des valeurs morales irréprochables, osent-ils priver certains travailleurs de l’opportunité d’accéder au marché du travail et d’avoir au moins la chance de grimper les échelons?
Lors de son passage au canal LCN jeudi dernier, le professeur Léo-Paul Lauzon affirmait de manière intempestive que les modèles de prospérité que sont la Finlande, le Danemark, la Norvège et la Suède imposent un salaire minimum deux fois plus élevé qu’au Québec, insinuant que nous devrions en faire autant. Or, vérification faite, aucun de ces pays ne décrète de salaire minimum! Le haut taux de syndicalisation permet aux employés de signer des conventions collectives qui fixent un plancher salarial, mais les gouvernements n’interviennent pas avec une loi. Et si ces travailleurs obtiennent des salaires élevés, c’est précisément parce qu’ils sont plus instruits et mieux formés que dans bien d’autres pays.
C’est donc sans hésiter que je réaffirme que le salaire minimum est une loi qui discrimine les travailleurs les moins qualifiés. Par contre, offrir à ces travailleurs la possibilité d’occuper un emploi et de développer une expertise qui leur permettra d’être en demande, c’est ça la véritable solidarité!
* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.
Nathalie Elgrably est économiste à l’Institut économique de Montréal et auteure du livre La face cachée des politiques publiques.