Recette pour le lait canadien
Les intervenants du milieu agricole se sont réjouis en décembre lorsqu’on a annoncé que le système canadien de gestion de l’offre laitière avait obtenu un sursis lors des négociations de l’OMC à Hong Kong. Pendant ce temps, une nouvelle augmentation de prix décrétée par la Commission canadienne du lait entrera en vigueur en février. Au lieu de subir ces augmentations annuelles et de maintenir un système inefficace, pourquoi ne ferions-nous pas comme les Australiens?
L’Australie – qui a inventé la gestion de l’offre dans les années 1920 – a éliminé en 2000 le soutien aux prix et les quotas laitiers. Des programmes d’aide à la transition ont parallèlement été offerts aux producteurs laitiers et, depuis, les prix du lait sont complètement libres. Les producteurs peuvent produire et exporter autant de lait qu’ils le souhaitent.
Au Canada, nos producteurs les plus dynamiques sont par contre obligés d’acquérir des quotas très coûteux s’ils veulent développer leurs fermes et augmenter leur production. Ils ne peuvent pas non plus développer leurs exportations parce que le Canada a été condamné par l’OMC il y a quelques années à cause de la gestion de l’offre, considérée comme un mécanisme de subventions. Bref, notre système est un réel obstacle au développement d’une industrie compétitive.
Mais supprimer ce soutien ne porterait-il pas un coup fatal à notre production laitière? Les Australiens avaient les mêmes craintes avant la réforme, d’autant plus que leurs producteurs subissent la concurrence des Néo-Zélandais. Mais on a tout de même continué à produire pratiquement autant de lait qu’avant la réforme malgré une diminution du nombre de fermes.
En fait la légère baisse de 7% dans la production laitière a été le résultat non pas de la réforme mais de deux années de sécheresse exceptionnelle en 2003 et 2004. En absence de sécheresse la production australienne aurait sans doute connu une augmentation, comme en 2002, où l’on a produit 4% de plus de lait qu’avant la réforme.
Les producteurs se sont rapidement adaptés pour compenser la perte de revenus. Par exemple, près de la moitié des producteurs australiens ont augmenté leur nombre de vaches; d’autres ont agrandi leur ferme, modernisé leur équipement, développé de nouvelles productions agricoles ou augmenté leurs revenus non-agricoles.
À la différence des consommateurs canadiens qui paient de plus en plus cher leur lait, les consommateurs en Australie ont été les grands gagnants de cette réforme.
Les défenseurs de la gestion de l’offre prétendent souvent que de toute façon, une baisse des prix à la ferme ne profiterait pas aux consommateurs. Selon eux, les transformateurs et les détaillants augmenteraient leur marge d’autant.
Or, c’est tout le contraire qui s’est passé en Australie: les prix du litre de lait régulier dans les supermarchés ont considérablement diminué. En tenant compte de l’inflation et en excluant une nouvelle taxe de 11 cents visant à financer les programmes de transition au bénéfice des agriculteurs, la baisse frôle les 30% pour les marques «sans nom». Les économies réalisées par les consommateurs sur le lait acheté en supermarché ont été estimées à plus de 118 millions de dollars australiens pendant la première année de la réforme.
Les consommateurs canadiens sortiraient sans doute eux aussi gagnants d’une réforme de la gestion de l’offre. Au lieu de continuer à les pénaliser par des augmentations de prix chaque année, n’est-il pas temps de voir si on peut adapter cette recette australienne au contexte canadien?
Michel Kelly-Gagnon est président de l’Institut économique de Montréal.