Vilaines, les pétrolières?
C’est immanquable. Chaque fois que le prix de l’essence augmente, politiciens et syndicats invoquent l’urgence d’intervenir pour mettre fin aux profits «indécents» des pétrolières. Ces dernières se présentaient d’ailleurs à Ottawa vendredi dernier pour s’expliquer.
Pourtant, quand mon ami Jérôme a vendu sa maison le triple de ce qu’il avait payé huit ans auparavant, tout le monde comprenait qu’il s’agissait du résultat naturel des forces de l’offre et de la demande: la valeur des maisons augmente quand beaucoup de gens veulent accéder à la propriété alors que le nombre d’habitations disponibles est limité. Personne n’a qualifié son profit d’excessif, les syndicats n’ont pas donné de conférence de presse, et le premier ministre n’a pas ouvert d’enquête publique.
Toutefois, nos élus semblent oublier les rudiments de l’économie de marché dès qu’il s’agit du prix de l’essence. Et même si je partage la frustration des automobilistes face à cette flambée, il faut essayer de comprendre pourquoi elle survient.
D’une part, la demande mondiale de pétrole augmente depuis plusieurs années, non seulement en raison de la croissance économique enregistrée en Chine et en Inde, mais aussi parce que les pays industrialisés consomment davantage d’énergie.
Et contrairement à ce que certains environnementalistes voudraient nous faire croire, l’augmentation de la consommation d’énergie n’est pas un phénomène honteux pour lequel nous devrions demander pardon, mais bien la manifestation de l’amélioration de notre niveau de vie.
D’autre part, l’offre de pétrole a récemment connu d’importants soubresauts. L’ouragan Katrina, puis Rita, ont paralysé les activités portuaires, en plus de limiter temporairement la capacité d’extraction dans le golfe du Mexique et la capacité de raffinage des États-unis. Mais ce phénomène est passager, et les prix diminuent à mesure que la situation revient à la normale.
Il y a également le fait que les pétrolières éprouvent des difficultés pour forer et pour construire des raffineries, des pipelines et des ports en raison des contraintes politiques et des pressions exercées par les groupes environnementalistes qui militent contre l’exploration pétrolière Inévitablement, plus on restreint le forage, plus le prix du brut augmente. Et plus on limite la capacité de raffinage, plus le prix des produits raffinés augmente.
La hausse du prix du carburant permet donc au marché de signaler que la production est incapable de répondre à la hausse de la demande.
Comment faire diminuer les prix? Il n’existe que deux moyens: réduire la consommation ou augmenter la production, ou les deux à la fois.
Réduire la consommation
Bien que la hausse de prix soit douloureuse pour nos délicats portefeuilles, elle indique aux automobilistes l’urgence de réduire leur consommation.
Simultanément, la perspective de profits juteux encouragent les pétrolières à produire davantage en augmentant la cadence d’extraction et de raffinage et en développant de nouveaux projets.
Non seulement la hausse du prix de l’essence n’est-elle pas un drame, elle est carrément indispensable pour prévenir le gaspillage d’un produit devenu plus rare et, surtout, nous prémunir contre une éventuelle pénurie.
Les pétrolières récoltent d’importants profits, certes, et c’est tant mieux! Sinon, comment financeraient-elles des activités d’exploration risquées et la construction de raffineries coûteuses?
Faut-il taxer leurs profits? Uniquement si nous voulons maintenir élevé le prix de l’essence, car une taxe supplémentaire exacerbera le phénomène de rareté en empêchant les pétrolières d’accroître leur capacité de production.
Les taxes représentent 40% du prix du litre de l’essence. Plutôt que de faire comparaître les pétrolières pour qu’elles justifient leurs profits «abusifs», pourquoi ne pas faire comparaître nos gouvernements pour qu’ils expliquent leurs taxes excessives et leur refus systématique de les réduire?
Nathalie Elgrably est économiste à l’Institut économique de Montréal.