Conflit de travail dans les CPE – Le gouvernement devrait soutenir la demande plutôt que l’offre
Le spectre d’une grève générale dans le réseau des 310 Centres de la petite enfance (CPE) affiliés à la CSN – avec les tracas et les pertes de revenus qu’il cause aux parents – représente le fruit amer de la quasi-nationalisation des garderies en 1997. Depuis lors, la négociation d’une convention collective à l’échelle du Québec a engendré des grèves causant la perte de 73 000 jours personnes de travail, soit plus du double des 34 000 jours personnes perdus de 1990 à 1997 inclusivement.
C’est le moyen choisi en 1997 pour acheminer l’aide financière qui explique largement la détérioration des relations de travail. Nous sommes alors passés d’un régime d’aide aux parents pour l’achat de services de garde à un régime de subvention à des offreurs de ces services. Le gouvernement s’est substitué aux conseils d’administration des garderies et s’est mis à déterminer les conditions de travail des éducatrices.
En plus de détériorer les relations de travail, l’instauration d’un tel régime a aussi restreint la liberté de choix des parents. En 1997, à l’instigation de la ministre responsable du dossier Pauline Marois, le gouvernement a concrétisé sa préférence pour un type de garde précis, soit la garde en CPE). En 2003, le nouveau gouvernement s’est tourné vers la garde en milieu familial (rattachée aux CPE) pour compléter le développement des 200 000 places promises.
Toutefois, les haltes-garderies et les jardins d’enfants, ainsi que la garde en milieu familial par un tiers rémunéré non rattaché à un CPE, demeurent mésestimés des autorités gouvernementales. Ce qui est déplorable puisque avec l’essor du travail autonome, du télétravail, du travail occasionnel et du travail à temps partiel, de plus en plus de parents recherchent des solutions de garde flexibles en dehors de l’offre à temps plein traditionnelle.
L’orientation gouvernementale se traduit dans le niveau de l’aide financière: pour un enfant bénéficiant d’une place à contribution réduite, (et en supposant un revenu familial net moyen de 60 000$), le gouvernement débourse plus du double de la valeur du crédit d’impôt qu’il consentirait à ses parents s’ils le faisaient garder par une gardienne. Toutes les aides financières à la garde par un tiers rémunéré ignorent l’intérêt des parents qui, en fonction de leurs préférences personnelles et d’un calcul économique propre à leur situation, choisissent de s’occuper eux-mêmes de leur jeune enfant. Pourtant, selon plusieurs enquêtes d’opinion, un grand nombre de parents préféreraient garder eux-mêmes leur enfant.
Comment faire pour mieux respecter la diversité des préférences parentales et pour réduire la propension aux conflits de travail dans les CPE? Si le gouvernement veut simplement redistribuer la richesse au profit des familles, alors il suffit de leur accorder des transferts monétaires ou des avantages fiscaux; pas besoin de soutenir la garde d’enfants en tant que telle. Si, dans le cadre d’une politique de main-d’oeuvre, il veut favoriser la participation des deux parents au marché du travail, alors il peut les aider à acheter des services de garde, sans restriction quant au type de service. Si le gouvernement cherche à hâter la socialisation des enfants, alors il peut soutenir l’achat par les parents de tous les types de services de garde en groupe, dans la mesure où l’établissement s’est doté d’un programme éducatif convenable. Bref, aucun de ces objectifs ne justifie le financement direct des offreurs de services de garde.
Le bon de garde peut être l’instrument de cette autonomisation des parents. Ceux-ci pourraient l’échanger contre des services dispensés par des personnes ou des établissements accrédités. Lorsque le pouvoir d’achat réside entre les mains des bénéficiaires d’un service, les fournisseurs deviennent plus attentifs à leurs désirs. À l’inverse, lorsque le financement provient d’une autorité centrale, c’est la conformité aux normes qui prend le dessus.
Les CPE devraient aussi retrouver le droit de fixer le tarif demandé aux parents, ainsi que celui de négocier localement avec le syndicat. Les CA sont les mieux placés pour trouver le point d’équilibre entre les demandes budgétaires de l’établissement et la capacité de payer des parents. En soutenant la demande plutôt que l’offre, le gouvernement changerait ainsi la donne qui engendre les conflits de travail.
Paul Daniel Muller est chercheur associé à l’Institut économique de Montréal.