fbpx

Textes d'opinion

Forum: Nous serions plus riches si l’État était moins gros

Le débat qui a cours sur le niveau de dépenses gouvernementales qui serait idéal pour assurer le bien-être de notre société prend souvent des tournures malheureusement très simplistes.

Ceux qui exigent plus de dépenses semblent croire qu’il s’agit seulement d’une question de «solidarité sociale», que les riches et les membres de la classe moyenne devraient accepter d’être un peu plus taxés de façon à payer des services et transferts qui profiteront aux pauvres… et à la classe moyenne. Quiconque s’oppose à une augmentation de ces dépenses se voit dénoncé comme un défenseur mesquin de l’establishment et des intérêts égoïstes des riches.

Ce que beaucoup de gens semblent ne pas vouloir reconnaître, c’est qu’il y a un coût associé à ce haut niveau de dépenses publiques. Et ce coût n’est pas uniquement supporté par les riches qui paient plus de taxes, mais par tout le monde, à cause de la croissance économique réduite qui en résulte.

On sait que les hauts taux de taxation entraînent une incitation négative à travailler et à investir, provoquent une fuite des entrepreneurs et de la main-d’oeuvre spécialisée vers d’autres cieux plus cléments et étouffent généralement la croissance du secteur privée. Mais les hauts niveaux de dépenses qui y correspondent, souvent perçus comme bénéfiques pour l’économie, ont eux aussi comme effet à long terme de réduire la croissance.

Cela s’explique par plusieurs raisons. Plus un État devient gros, plus sa productivité décroît. Les ressources qu’il accapare se perdent dans un dédale de structures bureaucratiques. Le capital limité qu’il dispute au secteur privé sert à financer des projets de développement qui sont souvent plus profitables dans une perspective politicienne que d’un point de vue financier. Aussi, plus les gouvernements redistribuent de l’argent à tous au moyen de multiples programmes, plus il devient tentant pour les individus et les corporations de chercher à s’enrichir en s’attirant les faveurs de l’État plutôt qu’en se consacrant à des activités productives.

Les partisans d’un État-providence toujours plus ambitieux diront sans doute que toutes ces conséquences ne sont que des théories abstraites, tout comme le marché lui-même et sa «main invisible» que personne n’a jamais vue. Les pauvres sont, eux, des personnes réelles, et les théories économiques ne devraient pas nous empêcher de dépenser encore plus d’argent pour leur venir en aide.

Mais c’est justement pour se donner les moyens de lutter contre la pauvreté qu’il faut se préoccuper de la création de richesse. Et maintenant, pour la première fois, nous avons des données précises qui illustrent l’arbitrage entre les dépenses gouvernementales et la croissance économique. Elles montrent sans l’ombre d’un doute que l’expansion étatique des dernières décennies a eu un effet nettement négatif sur notre niveau de vie.

L’année dernière, l’Institut économique de Montréal accueillait le professeur Robert Lawson de l’Université Capital, en Ohio. M. Lawson est l’un des trois auteurs d’une étude qui a comparé la taille de l’État et la croissance économique dans 23 pays de l’OCDE sur une période de quatre décennies. Au moyen d’une analyse de régression, ils ont trouvé qu’il existait une relation négative forte et soutenue entre les deux variables. Concrètement, plus les dépenses publiques sont élevées dans un pays donné, plus sa croissance économique tend à être faible. Les résultats suggèrent qu’une hausse de 10 points dans la proportion des dépenses gouvernementales par rapport au PIB (par exemple, de 35% à 45%) entraîne une réduction permanente de 1 point dans la croissance annuelle d’un pays.

Un pour cent peut avoir l’air d’un chiffre relativement insignifiant. Qui s’en rendrait compte si le Canada connaissait une croissance de 2,5% au lieu de 3,5% cette année? Sur une période de plusieurs décennies toutefois, une perte de croissance potentielle de 1% année après année peut mener à des réductions très considérables de revenu.

Cette première étude appliquait l’analyse de régression à la situation américaine. Elle concluait notamment que le revenu par habitant des Américains était de 8693$ CAN (5860$ US) inférieur à ce qu’il aurait pu être si les dépenses de tous les niveaux de gouvernement aux États-Unis n’avaient pas augmenté comme ce fut le cas au cours des quatre dernières décennies, soit de 28,4% à 34,6% du PIB.

Cette année, nous avons demandé au professeur Lawson d’appliquer la même méthodologie aux cas canadien et québécois. Les dépenses publiques des multiples niveaux de gouvernement ont crû beaucoup plus vite au Canada qu’aux États-Unis depuis 1960, de 28,6% à 46% en 1998. On peut donc s’attendre à ce que l’effet d’étouffement de l’expansion de l’État sur la croissance économique soit plus prononcé. Et les chiffres bruts nous donnent effectivement une image beaucoup plus saisissante que ce que n’importe qu’elle explication théorique pourrait apporter.

Si les dépenses publiques étaient restées à leur niveau de 1960 au Canada, l’économie canadienne aurait pu connaître une croissance tellement plus élevée qu’on estime qu’en 1998, notre produit intérieur brut aurait atteint 1318 milliards$ au lieu de 861 milliards$. Cela signifie que notre revenu par habitant, c’est-à-dire, la quantité de richesse produite en moyenne pour chaque homme, femme et enfant au pays, aurait été supérieur de 15065$. Pour une famille typique de quatre personnes, la différence s’élève à 60259$!

Pour le Québec en particulier, les résultats du professeur Lawson sont similaires. Les données sur le PIB québécois ne sont pas disponibles avant 1971 et le calcul ne tient pas compte du fait que les dépenses de l’État provincial québécois ont augmenté plus vite que celles des provinces voisines. L’effet observé est donc probablement sous-estimé, mais les résultats sont tout de même significatifs.

Si la taille globale de tous les niveaux de gouvernement au Canada était restée à son niveau approximatif de 1971, soit 36%, la croissance économique accrue que cela aurait permis aurait rendu chaque Québécois plus riche de 12414$ en 1998 (ou 49648$ pour une famille de quatre personnes). En d’autres mots, le revenu par habitant aurait pu grimper à 39158$ au lieu de se situer à 26746$ comme ce fut le cas.

Oui, cela implique que les gouvernements feraient moins de choses et interviendraient dans moins de domaines. Mais chacun d’entre nous – riche ou pauvre – aurait plus d’argent pour se payer les services que l’État nous procure actuellement et qu’il n’offrirait peut-être pas dans cette situation hypothétique. Nous aurions plus d’argent dans nos poches non seulement parce que nous paierions moins d’impôt, mais aussi parce que dans une économie beaucoup plus productive, nous serions tous beaucoup plus riches.

La conclusion à tirer de ces données n’est pas nécessairement que nous devrions réduire la taille de l’État, mais plutôt qu’il y a un arbitrage incontournable à faire entre un plus gros État et une plus faible croissance économique. Ceux qui veulent tout de même garder ce gros État – ou même qui souhaitent des dépenses publiques encore plus considérables – au nom de l’équité et de la justice sociale devraient au moins être conscients de ce à quoi ils renoncent en termes de croissance, de richesse et de bien-être en échange de son maintien.

 

Michel Kelly-Gagnon est président de l’IEDM.

Back to top