fbpx

Textes d'opinion

Bois d’oeuvre: le libre-échange entre le Canada et les É.-U. serait profitable à tous

Malgré l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, certains secteurs de l’économie ne profitent pas autant qu’ils le devraient de la libéralisation du commerce entre nos deux pays. C’est le cas notamment pour le bois d’oeuvre canadien qui, comme nous l’a rappelé l’actualité des derniers jours, fait toujours l’objet de restrictions sur le marché américain.

En effet, une entente signée en 1996 entre les deux pays prévoit l’imposition de quotas sur les exportations canadiennes. Cette entente expirera à la fin du mois de mars et les principaux intéressés fourbissent leurs armes depuis un bon moment pour influencer les gouvernements, qui devront décider très bientôt si oui ou non cette entente sera renouvelée.

Ces derniers jours, comme le rapportait La Presse du 2 mars, les éléments d’une «guerre du bois» entre les deux pays ont commencé à se mettre en place. Au Congrès américain, 51 sénateurs ont réclamé du président Bush le maintien des quotas d’exportations imposés aux producteurs canadiens. De son côté, le gouvernement canadien maintient un refus catégorique de négocier un nouvel accord qui prolongerait les quotas. Le gouvernement et l’industrie se préparent déjà à aller devant le tribunal d’arbitrage de l’ALENA, où l’on est confiant d’avoir gain de cause, si les États-Unis imposent de nouvelles sanctions.

À l’origine, ce sont les pressions des producteurs américains de bois d’oeuvre qui ont amené Washington à exiger une telle entente. Selon eux, leurs concurrents canadiens profiteraient d’avantages indus en payant des redevances minimales pour le bois coupé dans les forêts publiques, ce qui serait l’équivalent d’une subvention. Les producteurs canadiens se sont toutefois toujours défendus d’être indûment favorisés et affirment payer l’équivalent du prix du marché.

Il est intéressant de constater que des chercheurs américains arrivent aux mêmes conclusions et dénoncent ce système de quotas qui, comme toutes les entraves au commerce, crée des distorsions dans le marché et profite à certains producteurs aux dépens des consommateurs.

Dans une étude intitulée Nailing the Homeowner: The Economic Impact of Trade Protection of the Softwood Lumber Industry («L’exploitation des propriétaires de maison: effet économique du protectionnisme dans l’industrie du bois d’oeuvre») et publiée par l’Institut Cato, de Washington, il y a quelques mois, trois experts du commerce s’attaquent à l’accord, le qualifiant de «combine au profit de quelques producteurs de bois d’oeuvre des États-Unis aux dépens de millions de travailleurs des industries utilisatrices de bois d’oeuvre, sans mentionner les millions d’acheteurs de maisons américains».

En forçant une diminution artificielle de l’offre et donc une hausse artificielle des prix, ce système n’est en effet aucunement à l’avantage de tous ceux qui consomment le bois d’oeuvre. Les chercheurs estiment que les restrictions à l’importation font grimper les prix de 50 $ à 80 $ (US) par millier de pieds-planche, ce qui ajoute entre 800 $ et 1300 $ au coût d’une maison neuve. De telles hausses de prix font en sorte que des centaines de milliers de ménages décident chaque année qu’ils n’ont pas les moyens de s’acheter une propriété neuve.

Les producteurs américains qui appuient le système de quotas, ainsi que leurs alliés au Congrès, basent leurs arguments sur la prétendue existence de subventions. Le système d’exploitation des terres de la Couronne n’est sans doute pas idéal et on aurait l’assurance que les prix correspondent bien à ceux du marché si ces terres étaient privatisées. Quoi qu’il en soit, les chercheurs de l’Institut Cato croient que «rien ne démontre que les producteurs canadiens profitent d’un avantage injuste par rapport à leurs concurrents américains et cette prétention n’est certainement pas assez convaincante pour justifier l’imposition aux utilisateurs américains de coûts artificiellement gonflés par les barrières commerciales.»

Il faut aussi préciser que ce ne sont pas tous les membres du Congrès qui appuient la politique des quotas, loin de là. Cent dix-huit représentants et quinze sénateurs ont signé depuis l’an dernier une contre-résolution demandant le non-renouvellement de l’entente et un retour au libre-échange dans ce secteur.

Dans les faits, ce sont les accusateurs eux-mêmes qui bénéficient maintenant de largesses publiques. Les quotas actuels équivalent en effet à une subvention aux producteurs américains protégés de la concurrence. Et le plus ironique est que les travailleurs américains des secteurs défavorisés par cette barrière commerciale – tels les ouvriers des cours à bois ou de la construction et les détaillants de matériaux de construction – sont 25 fois plus nombreux que les travailleurs des entreprises de bois d’oeuvre, y compris les sociétés d’exploitation forestière et les scieries.

Il faut bien sûr ajouter que ce ne sont pas seulement les consommateurs et les travailleurs américains qui profiteraient d’une levée des quotas et d’un retour au libre marché dans ce secteur, mais aussi les producteurs du Canada. L’industrie du bois de sciage est l’un des piliers de l’économie régionale au Québec. Elle fait travailler 35 000 personnes, en plus de constituer la principale activité économique d’une centaine de communautés.

Les barrières commerciales n’ont heureusement pas provoqué jusqu’ici une diminution de la production ni du nombre d’emplois au Canada parce qu’une substitution de marchés s’est effectuée. L’accord ne touche en effet que les quatre principales provinces productrices, soit le Québec, l’Ontario, l’Alberta et la Colombie-Britannique. Les six autres – qui ne comptent que pour 5% de la production canadienne – peuvent exporter à leur guise et profiter des prix plus élevés aux États-Unis. Les producteurs du Québec peuvent par ailleurs augmenter leurs ventes dans ces six provinces, où la demande a été forte ces dernières années, pour compenser les restrictions sur le marché américain.

Toutefois, les quotas ne sont pas sans conséquence. La différence de prix artificielle qui s’est créée entre les deux marchés résulte en une perte de revenus pour les producteurs canadiens. À cela s’ajoutent les multiples tracasseries administratives causées par un système complexe de gestion bureaucratique qui défie la logique.

En bref, l’accord protectionniste actuel est défavorable tant pour l’économie américaine que pour l’économie canadienne. Il ne s’agit pas d’une bataille entre intérêts américains et canadiens, mais bien entre des intérêts particuliers et l’intérêt général. Heureusement, de part et d’autre de la frontière, une opposition à ce genre de non-sens économique se fait sentir. Il est à espérer que les deux gouvernements s’entendront pour faire prévaloir le libre-échange dans le commerce du bois d’oeuvre.

 

Michel Kelly-Gagnon est président de l’IEDM, Mark A. Groombridge est Research Fellow au Centre d’étude sur les politiques commerciales de l’Institut Cato à Washington.

Back to top