La nouvelle économie a-t-elle dit son dernier mot? Il est trop tôt pour sonner le glas
Depuis l’effondrement du marché boursier en 2000 et le ralentissement économique qui a suivi, on entend beaucoup moins souvent parler des effets bénéfiques de la «nouvelle économie». Il y a à peine deux ou trois ans, certains analystes prédisaient que les nouvelles technologies et les nouvelles méthodes de gestion, notamment dans l’informatique et les communications, rendraient les entreprises tellement plus productives que la croissance allait continuer indéfiniment et que les bourses atteindraient des sommets inégalés. Cette prédiction s’est de toute évidence révélée fausse.
La récession sonne-t-elle pour autant le glas de la nouvelle économie? Le président de la Federal Reserve Bank de Dallas, Robert McTeer, ne le croit pas et est l’un de ceux qui restent optimistes.
Au cours des dernières années, Bob McTeer s’est acquis une certaine notoriété dans les milieux d’affaires américains et internationaux comme champion de la nouvelle économie et partisan d’une gestion monétaire qui tiendrait compte des nouvelles conditions économiques engendrées par celle-ci. En 1999, lorsque la Fed a décidé de mettre un frein à l’«exubérance irrationnelle» (dixit Alan Greenspan) des marchés en haussant les taux d’intérêt, il a été le seul membre du Federal Open Market Committee à voter contre cette hausse par deux fois.
M. McTeer croit que les concepts tels la courbe de Phillips (qui prédit que si le chômage augmente, l’inflation diminuera, et vice-versa) et son cousin le NAIRU (une évaluation d’un taux de chômage «naturel» au-dessous duquel l’inflation se met à augmenter) ne tiennent plus dans le contexte de la nouvelle économie. En effet, la productivité accrue que celle-ci permet d’atteindre fait en sorte de réduire les pressions inflationnistes.
Le taux de croissance de la productivité de l’économie américaine, qui oscillait autour de 1 ou 1,5% au cours des deux décennies précédentes, a dépassé les 3% et même atteint 5% depuis la seconde moitié des années 1990. Cela signifie que la «limite de vitesse» de la croissance économique (la somme des gains de productivité et de la croissance de la main-d’oeuvre) a été repoussée d’autant.
Pour le président de la Fed de Dallas, il faut voir tous les côtés de l’équation quand on dit que l’inflation survient parce qu’il y a «plus de capitaux à la poursuite de moins de biens». Si l’on peut justement produire beaucoup plus de biens, sans que surviennent de goulots d’étranglement dans l’allocation des ressources, grâce aux méthodes plus efficaces de la nouvelle économie, alors la politique monétaire peut selon lui se permettre d’être plus expansive sans pour autant risquer de provoquer de l’inflation.
Il est donc absurde de vouloir ralentir la croissance en augmentant les taux d’intérêt sous prétexte qu’une croissance trop forte pourrait créer des pressions inflationnistes. Bob McTeer ajoute par ailleurs que d’autres facteurs liés au processus de mondialisation améliorent l’efficacité économique et diminuent donc l’impact potentiellement inflationniste de la croissance. Ces facteurs, tels la fin de la Guerre froide, l’intégration des ex-pays communistes à l’économie mondiale et la vague de privatisation et de déréglementation qui a touché certains pays en voie de développement, sont des phénomènes positifs qui ont aussi des répercussions chez nous.
M. McTeer reconnaît maintenant qu’un emballement pour les secteurs de haute technologie a provoqué un surinvestissement et une bulle financière. Les entreprises doivent maintenant liquider leurs surplus d’inventaire et recentrer leurs activités sur les secteurs les plus en demande et les plus profitables. Il admet que ce réajustement prendra quelque temps mais prédisait une reprise dès l’an dernier et reste très optimiste quant à l’avenir de l’économie américaine.
Selon lui toutefois, il n’y a aucune raison de croire que la nouvelle économie est chose du passé. Au contraire, les hauts taux de croissance de la productivité que nous avons connus à la fin des années 1990 devraient être de retour dès que l’économie prendra du mieux. Le développement de la biotechnologie ne ferait par exemple que commencer et les idées de la nouvelle économie seront graduellement reprises par les secteurs plus traditionnels. Malgré le ralentissement, «nous n’avons pas perdu le livre de recettes», proclame-t-il.
Bob McTeer sera à Montréal le 30 mai prochain à l’invitation de l’Institut économique de Montréal pour discuter des perspectives d’avenir de l’économie américaine.
Michel Kelly-Gagnon est président de l’IEDM.