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Textes d'opinion

Échec à la pauvreté: Le projet de loi antipauvreté constitue-t-il un pas dans la bonne direction? Non, la situation des ménages moins favorisés s’est beaucoup améliorée au fil des ans

L’annonce du projet de loi sur la lutte contre la pauvreté et l’exclusion a donné lieu à une surenchère de statistiques sensationnalistes et, pour la plupart, peu fiables. Si l’on veut faire avancer le débat, il est nécessaire de dresser un portrait plus juste de la situation de la pauvreté et des mesures véritablement efficaces pour la combattre.

À en croire certains activistes très présents dans les médias, depuis quelques jours, les gens démunis seraient très nombreux et la pauvreté serait pour une majorité d’entre eux une condition permanente. Malgré des difficultés bien réelles dans le cas des gens inaptes au travail, force est de reconnaître que, loin de s’aggraver, la situation des ménages les moins favorisés s’est grandement améliorée au fil des ans. Si l’on adopte une perspective à long terme, personne ne peut nier que le niveau de vie des pauvres d’aujourd’hui, que ce soit en termes de nourriture, de qualité de logement, de soins de santé ou d’espérance de vie, est incomparablement supérieur à celui de nos ancêtres les plus fortunés. En fait, même les familles les plus riches d’il y a un siècle envieraient la qualité des soins de santé de nos concitoyens les plus démunis. (…)

Les données disponibles actuellement nous indiquent que les choses se sont beaucoup améliorées chez nous. Par exemple, entre 1982 et 2001, la population québécoise est passée de 6 579 300 à 7 410 500 individus, une augmentation de 12,6%, tandis que le nombre d’emplois disponibles est passé de 2 641 000 à 3 475 000, une augmentation de 32%. Cette création d’emplois a notamment permis de réduire le nombre de bénéficiaires de l’aide sociale au cours des dernières années. En 1997, le Québec comptait 793 307 bénéficiaires de l’aide sociale, soit 10,9% de sa population totale. En 2001, ce chiffre avait chuté à 576 000 bénéficiaires, soit 7,8% de sa population.

On constate également que très peu de personnes à faibles revenus dans les économies avancées sont pris dans un engrenage de pauvreté permanente. Il est vrai que, bon an mal an, environ 13% des Canadiens vivent dans des familles à faible revenu. Il est toutefois faux de croire qu’il s’agit pour la majorité d’entre eux d’une situation dont ils ne peuvent se sortir. Comme l’illustre une étude détaillée de Statistique Canada, seulement 3,3% de nos concitoyens sont demeurés sous le seuil de faible revenu à chaque année entre 1993 et 1998. En d’autres mots, les 13% de Canadiens qui vivaient dans des familles à faibles revenus en 1993 ne sont pas, dans la grande majorité des cas, les mêmes que les 13% de Canadiens qui vivaient dans des familles à faibles revenus en 1998.

Ce chiffre étonnant s’explique surtout par le fait qu’une très large portion de ces «pauvres» sont en fait des étudiants et des retraités. Par exemple, au Canada c’est dans la catégorie d’âge 18-24 ans qu’on trouve la plus forte proportion de gens à faible revenu pour une année ou plus (38,5%) et pour quatre années ou plus (10,8%), une situation qui s’explique évidemment par la présence des étudiants dans ce groupe. (…)

Pourquoi pense-t-on que la pauvreté ne cesse d’augmenter? Il y a selon nous deux raisons. La première est que la plupart des organisations militantes s’intéressent davantage à la mesure des inégalités qu’à l’amélioration réelle des conditions de vie. En termes clairs, selon eux, les 20% des citoyens les moins riches seront toujours pauvres, même si leur niveau de vie réel ne cesse de s’améliorer. Statistique Canada n’avalise cependant pas l’utilisation de ses seuils de faible revenu comme seuils de la pauvreté.

Deuxièmement, les définitions de la pauvreté utilisées par les intervenants dans le domaine depuis quelques années sont pour le moins étonnantes. Par exemple, la définition d’une «personne démunie» selon Centraide du Grand Montréal ne peut que laisser songeur: «Pour Centraide, une personne est démunie non seulement lorsqu’elle se retrouve dans une situation de pauvreté économique (manque d’avoir), mais aussi lorsqu’elle vit dans un état de pauvreté culturelle (manque d’être) et de pauvreté sociale et politique (manque de pouvoir). La pauvreté économique se conjugue souvent avec d’autres pauvretés, ce qui peut conduire à un état de détresse sociale.» (…)

Une nouvelle approche est nécessaire

Selon les ministres Linda Goupil et Nicole Léger, la Stratégie nationale de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale doit amener le Québec, d’ici une dizaine d’années, au nombre des nations industrialisées comptant le moins de personnes pauvres. Or, il est pour le moins ironique de constater que, depuis une trentaine d’années, le Québec a créé beaucoup moins de richesse que le reste de l’Amérique du Nord, au point où notre province est maintenant au 57e rang pour ce qui est du revenu médian calculé en fonction de la parité de pouvoir d’achat. À peu près rien dans les documents rendus publics le 12 juin ne laisse cependant entendre qu’il serait plus avisé que les pratiques gouvernementales passent d’une mentalité de partage de la pauvreté à une éthique de la responsabilisation et de la croissance économique.

Le temps n’est-il pas venu de remettre la création de richesse à l’avant-plan? Le temps n’est-il pas venu de changer cette mentalité de passivité et de dépendance qui s’est installée chez nous?

Michel Kelly-Gagnon est président de l’IEDM, Pierre Desrochers est directeur de la recherche à l’IEDM.

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