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Textes d'opinion

Tuer la prospérité dans l’oeuf: les effets de la taxe sur les gains en capital

Au Canada, et en particulier au Québec, nos gouvernements ont eu recours aux taxes sur les gains en capital dans une bien plus large mesure que nos voisins américains. À 40%, le taux canadien de cette taxe est présentement le double du taux américain. Perçu comme un impôt prélevé auprès des gens fortunés, cette forme d’impôt a été largement épargnée du champ des revendications de ceux qui réclament des baisses d’impôt. Or, à notre avis, cette taxe cause un tort considérable à nos espoirs de créer plus de richesses et d’accroître les revenus réels des citoyens. C’est d’ailleurs ce que démontre une étude de l’IEDM rendue publique récemment.

Un bref coup d’oeil à l’histoire économique du dernier demi-siècle suffit pour s’apercevoir que les sociétés les plus prospères sont celles où entrepreneurs et investisseurs peuvent abandonner aisément des idées, des méthodes ou des marchés dépassés au profit de nouveaux projets offrant plus de promesses. Parmi les moyens d’assurer pareille transition, l’une des plus importantes se veut le transfert de capitaux des industries d’hier vers celles de demain. C’est de la liberté de se livrer à des expériences qu’émergent de nouvelles sources de richesse. C’est là la raison d’être des nouvelles entreprises. Certaines de ces expériences réussiront, la plupart non. Mais toutes devront être financées.

Il y a certes un risque inhérent à cette redistribution, mais elle permet de soustraire des ressources, tant humaines, matérielles que financières, des projets qui ne vont nulle part au profit d’initiatives plus profitables. Si ce transfert est l’objet d’une taxe, il va de soi que la l’incitation à transférer des ressources vers les projets d’avenir en est affaiblie. Or, c’est précisément ce transfert qui se trouve à être la cible de l’impôt sur les gains en capitaux. Notre société en paie le prix, puisque les capitaux deviennent par conséquent plus rares et plus dispendieux, et parce les gens les plus à même de les faire fructifier en viennent à la conclusion qu’ils seraient mieux de le faire ailleurs qu’ici.

Telles sont les constats tires d’une étude publiée récemment sous la plume de Reuven Brenner par l’Institut économique de Montréal, une étude ayant pour titre L’impôt sur les gains en capitaux: un énorme fardeau social. Conférencier, chroniqueur et auteur prolifique, le professeur Brenner enseigne à McGill, est associé de la firme montréalaise Secor, et agit en tant que consultant auprès de nombreuses entreprises au Canada, aux États-Unis et au Mexique.

Un sol infertile pour les nouvelles idées

Ce que cette étude nous rappelle, c’est que lorsque le capital est mobile, le rendement après impôt se règle forcément sur le niveau international par l’effet de la concurrence. Ce qui signifie que dans un pays où les taxes sont élevées, les capitaux se feront relativement rares de façon à pousser leur rendement à la hausse et ainsi garantir leur égalisation aux taux internationaux. Puisque les capitaux sont rares, les entrepreneurs ont d’autant plus de difficultés à trouver du financement. Certains d’entre eux choisiront de rabattre leurs aspirations, entraînant à la baisse la formation de capital. D’autres opteront tout simplement pour l’exode, emmenant leur énergie et leurs idées vers des cieux fiscalement plus cléments. Puisqu’il s’agit là du type même d’entrepreneurs de talent qui attirent le financement nécessaire à la formation de capital, le volume des investissements s’en trouvera là-aussi diminué. Dans un cas comme dans l’autre, l’assiette fiscale des gouvernements rétrécit, tout comme d’ailleurs l’horizon de nos espoirs de prospérité à tous.

L’exemple de David Huber, qui a inventé la fibre optique alors qu’il travaillait pour General Instruments, illustre bien les conséquences concrètes des méfaits d’une telle taxe. Des années durant, M. Huber a tenté de convaincre ses patrons d’appuyer la commercialisation de son innovation, toujours sans succès. De guerre lasse, il a quitté son employeur et, grâce à l’appui d’un «ange» financier qui lui a allongé quelques centaines de milliers de dollars, il a fondé sa propre entreprise, baptisée Ciena. Lorsque la compagnie a lancé son premier appel publique à l’épargne, la valeur des actions détenues par M. Huber s’est élevée à 200 millions de dollars. Nul doute que, s’il avait élu domicile au Canada, il n’aurait jamais trouvé d’ange pour financer son projet. Non pas que son idée eut été moins bonne, mais l’ange en question aurait dû faire face à un impôt de 40% sur toute éventuelle appréciation de sa mise, en comparaison de 18% 20 minutes de voiture plus au Sud. Si M. Huber était un Canadien, il aurait encore aujourd’hui un bon salaire d’ingénieur, et toute la richesse et les emplois attribuables à Ciena n’existeraient pas.

À la source de l’exode des cerveaux

Pas moins de cent mille personnes hautement qualifiées ont quitté le Canada pour les États-Unis en 1997. En partant de l’hypothèse que le revenu annuel moyen de ces exilés de talent s’élève à 100 000 dollars, et en présumant un taux d’escompte de 5%, chacun de ces départs représente une perte de richesse de deux millions de dollars. Multiplions ce montant par les 100 000 individus qui ont quitté, et on se rend compte que le Canada a cette année-là transféré deux milliards de dollars aux États-Unis. Ceux qui cherchent à expliquer le phénomène en soulignant que les opportunités sont meilleures au sud de la frontière, sans égard aux écarts fiscaux, font fausse route. Ces deux variables sont intimement liées. C’est précisément en raison d’un fardeau fiscal moins lourd sur les gains en capitaux aux États-Unis que nos «meilleures têtes» y trouvent de meilleures opportunités.

Certains commentateurs, conscients des conséquences néfastes de l’impôt sur les gains en capitaux, font néanmoins valoir que les gouvernements ne peuvent se permettre d’éliminer ou d’alléger un impôt prélevé sur «les riches». Mais l’incidence des taxes n’est pas la même chose que leur fardeau. Le fardeau retombe toujours sur ceux qui sont dans l’impossibilité de s’y soustraire plutôt que sur les entités légales ciblées par les gouvernements. Ainsi, en rendant le capital rare et dispendieux, on finit par diminuer rapidement le nombre des entrepreneurs et autres travailleurs stratégiques, et donc la source des meilleures opportunités d’investissement. Et le fardeau de nos impôts plus élevés sur les gains en capitaux finit par se déplacer sur les épaules des travailleurs aux talents plus modestes, qui eux sont moins mobiles.

En s’appuyant sur des données comparatives obtenues des États-Unis et du Royaume-Uni, qui ont radicalement diminué les taux d’imposition dans les années 1980, le professeur Brenner soumet une démonstration convaincante des bienfaits économiques qui résulteraient d’une harmonisation des taux canadiens d’imposition sur les gains en capitaux avec les taux américains. Bien entendu, il serait encore plus souhaitable de ramener le taux à zéro, donnant ainsi au Canada une occasion providentielle de rattraper son retard.

À ce titre, l’évolution historique de l’impôt sur les gains en capitaux aux États-Unis nous offre de nombreux points de repère. Durant la période 1970-1977, le taux d’imposition a grimpé rapidement, et les revenus réels tirés de celle-ci ont chuté dans l’ensemble. Puis, en 1978, puis encore quelques années plus tard, les gouvernements ont choisi de réduire les taux de beaucoup, et les revenus fiscaux se sont mis à gonfler. Lorsque les taux furent augmentés à niveau en 1987, les revenus sont restés stagnants pendant 10 ans. Enfin, depuis la dernière réduction majeure des taux en 1997, qui les a ramené entre 10% et 20%, les revenus fiscaux ont fait un bond de 40%. Bref, voici un cas patent où il est possible d’augmenter les revenus du gouvernement en diminuant les impôts. Dans une économie de marché libre, tirer le meilleur parti des opportunités d’investissement est ce qui se rapproche le plus de la poule aux oeufs d’or. En maintenant aussi élevé l’impôt sur les gains en capitaux, c’est la vie du précieux volatile que l’on raccourcit.

 

Michel Kelly-Gagnon est président de l’IEDM.

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