Soins privés ou… privés de soins?
Selon un sondage du National Post, 52 pour 100 des Québécois jugent légitime l’instauration d’un régime où les particuliers seraient libres de se procurer, à leurs frais, des soins de santé en dehors du système public.
Depuis son avènement, la carte-soleil a conquis les esprits, peut-être plus comme symbole politique que par sa contribution à la santé de la population. La gratuité est perçue comme l’expression du sens de la compassion des Canadiens, par opposition à l’individualisme cruel des Américains.
Mais lorsque les gens réclament un régime public, ils ont en tête la taxation des «riches», c’est-à-dire des plus riches qu’eux. En d’autres termes, l’attachement de la population repose, non pas sur le noble idéal de la compassion, mais sur le souci du grand nombre de se faire soigner aux frais des autres.
Peu à peu, la réalité de la médecine socialisée apparaît, avec ses files d’attente, ses hôpitaux en décrépitude et ses difficultés d’accès aux technologies de pointe. Et la population appelle à grands cris la réforme de la loi nationale sur la santé.
Inquiet de cette évolution, le ministre fédéral de la Santé, Allan Rock, nous invite à la patience, le temps que les 11,5 milliards qu’il a promis d’injecter sur cinq ans dans le régime produisent leur effet. Or, au cours de cette période, les provinces affecteront pas moins de 300 milliards aux services de santé. C’est donc sur une progression de 5 pour 100 par année des budgets que table le ministre pour sauver un régime de plus en plus discrédité. Compte tenu que, d’ici la fin de cette période, la population de 65 ans et plus aura augmenté de près de 10 pour 100, la qualité des soins et des services aura vraisemblablement chuté encore plus bas. De toute manière, l’argent qu’on injectera ou pas dans le régime public n’y changera pas grand-chose. La planification centrale a fait imploser le système soviétique; elle menace de la même façon notre régime de santé.
Le Canada n’aura bientôt d’autre choix que de recourir au secteur privé. Les politiciens ont opposé jusqu’ici une résistance irraisonnée à cette solution, rompant en cela avec la tradition de la plupart des pays industrialisés. Le Canada partage avec Cuba et la Corée du Nord la distinction suspecte de fermer la porte à toute forme de choix.
Une fois implanté un réseau parallèle de fournisseurs de soins, les particuliers qui le désirent pourraient constituer un fonds personnel d’épargne-santé, non imposable, à l’instar des régimes enregistrés d’épargne-retraite. Parallèlement, ils souscriraient une assurance-catastrophe, publique ou privée, qui prendrait en charge les dépenses de santé une fois le fonds épuisé et la franchise dépassée.
Avantage principal de cet aménagement: le fonds appartient à l’individu, qui est le bénéficiaire ultime de la parcimonie avec laquelle il aura géré son régime de santé. L’expérience a montré que cette formule diminuait sensiblement le recours aux soins, sans pénaliser l’état de santé des individus. En outre, cette forme de partage des coûts peut facilement s’adapter aux contraintes des individus à faible revenu, puisque la franchise de l’assurance-catastrophe pourrait être calculée en fonction du revenu des familles.
Cette formule permettrait d’injecter une dose de concurrence grandement souhaitable dans le régime, tout en incitant les particuliers à opérer des choix plus économiques en matière de soins – meilleurs que ceux des politiciens et des bureaucrates les mieux intentionnés. L’aménagement élargirait aussi la gamme des services disponibles à l’ensemble des familles, tout en générant des économies importantes – jusqu’à 20 pour 100 – dans le budget collectif de la santé. Le prétendu danger d’une évolution vers un régime «à deux vitesses», où l’accès à des soins de qualité serait réservé à une poignée de privilégiés, est un épouvantail que contredit l’expérience des pays qui, à l’exemple du Royaume-Uni ou de la Nouvelle-Zélande, ont mis en place un tel système. En fait, ce sont les catégories socio-économiques inférieures qui ont le plus gagné à la participation du secteur privé. Les budgets publics de santé s’en sont trouvés allégés. La qualité des soins s’est améliorée, et l’éventail des choix élargi. L’accès aux technologies modernes a été favorisé, tandis que les files d’attente ont raccourci.
Jean-Luc Migué est chercheur associés à l’IEDM.