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Textes d'opinion

Révolution des soins de santé en Suède – Le bonheur est dans la privatisation

«Laissons le marché prendre le contrôle du système de santé!», clamait en 1997 une manchette de Dagens Nyheter, le quotidien le plus important de Suède avec un tirage de 350 000 copies.

Alors que la Commission Clair sur la santé et les services sociaux poursuit ses audiences sur la réforme du système de santé, il n’est pas inutile de constater que les positions des groupes impliqués ne sont pas aussi prévisibles ailleurs dans le monde qu’elles le sont ici. Cela peut en effet paraître surprenant, mais la citation ci-haut ne venait pas d’un économiste ou d’un porte-parole d’un institut de recherche défendant des positions plutôt à droite, mais bien de la présidente du Syndicat national des infirmières de Suède, Eva Fernvall. La majorité des 120 000 membres de ce syndicat appuient le principe du «pluralisme dans le système de santé» pour la bonne raison que cela correspond à leur intérêt. Sous le système de santé publique de la Suède, les infirmières avaient en effet été victimes des restriction sur le plan des salaires.

Cette ouverture à des solutions de marché pour la médecine, remarquable pour un syndicat du secteur public dont les équivalents en Amérique du Nord et ailleurs en Europe s’y opposent farouchement, n’est pas arrivée par accident. Il y a huit ans, une coalition de centre-droite au pouvoir au gouvernement régional de Stockholm a décidé d’introduire un peu de compétition pour stimuler les monopoles sclérosés de services publics de la capitale suédoise. Pendant plus de deux ans, le Conseil régional a délivré des licences à des fournisseurs privés dans certaines parties du secteur public. Le résultat? La compétition entre les sous-traitants pour le transport dans la région métropolitaine de Stockholm a entraîné une baisse de 25% des coûts pour les contribuables, et les coûts du service ambulancier ont baissé de 15%. En même temps, la qualité générale des services a augmenté de façon appréciable.

Le Conseil régional de Stockholm a également délivré 150 permis à des fournisseurs de soins de santé de petite et moyenne tailles. Parmi ceux-ci, la plupart était en fait des infirmières désabusées des mauvaises conditions de travail et du salaire médiocre, qui ont sauté sur l’occasion de lancer leur propre entreprise et de profiter de la vague de privatisation. Leur syndicat les a activement appuyées et a même créé une compagnie consacrée à la recherche sur les nouvelles formes d’entrepreneurship.

Tout comme d’autres producteurs de soins de santé contractants, le Conseil régional paie les entreprises des infirmières directement, mais les patients restent libres de choisir la compagnie de service qu’ils désirent. Tous les patients doivent débourser des «frais de patient» (ou frais d’utilisateur) de base de 20 $ CAN qui vont aux compagnies de soins infirmiers. Depuis que la compétition privée a été instaurée pour les soins infirmiers, les salaires ont augmenté de 26% dans la profession – trois fois le taux d’augmentation pour le secteur public. Même si des informations détaillées sont difficiles à obtenir à cause de la réticence des employeurs privés à dévoiler les clauses de contrats, les observateurs de l’industrie estiment que les employés du secteur privé jouissent en général de salaires 5 à 10% plus élevés que leurs collègues qui font l’équivalent dans le secteur public.

En 1994, les socio-démocrates ont pris le pouvoir et ont mis fin aux réformes, sans toutefois les renverser. Cela a donné le temps aux infirmières (et au public) d’évaluer l’efficacité de ces expérimentations. Des 150 fournisseurs originaux de service, tous sauf un avaient survécu et la plupart avaient prospéré. Lorsque les réformateurs sont revenus au pouvoir en 1998, la Suède était prête à aller plus loin.

Parce que le contrôle et la prise de décision se font au niveau local, le système de santé suédois est plus flexible et décentralisé que celui du Canada. En ce moment, environ 150 autres unités de service s’apprêtent à quitter le giron public pour devenir des compagnies privées, et vont bénéficier d’un entraînement gratuit et d’aide au démarrage de la part du Conseil régional. Les nouveaux fournisseurs vont gérer les centres locaux de soins, les cliniques de médecins omnipraticiens, les centres spécialisés dans les soins postnatals, les laboratoires et les cliniques externes psychiatriques. Lorsque cette transformation sera complétée, les entrepreneurs privés et les médecins omnipraticiens fourniront environ 40% de tous les services de santé dans la région métropolitaine.

Ce qui peut encore plus étonner, c’est que le Conseil régional a vendu l’an dernier l’un des plus gros hôpitaux de Stockholm, l’hôpital Saint-Georges, à une compagnie privée du nom de Capio Ltée. Comme prévu, au cours de sa première année de fonctionnement comme entreprise privée, le Saint-Georges a atteint des objectifs de rendement de 10 à 15% supérieurs à ceux obtenus par son équivalent du secteur public le mieux géré, l’hôpital du Sud. Ce succès laisse présager des changements similaires pour les sept autres hôpitaux de la région de Stockholm qui traitent les cas d’urgence. Deux d’entre eux ont déjà été transformés en compagnies publiques commercialement viables, et donc vendables. Deux autres doivent devenir des compagnies propriété du Conseil régional l’an prochain. Les trois autres sont «candidats» à un éventuel transfert vers le marché. En d’autres termes, on peut formellement s’attendre à ce que tous les hôpitaux de Stockholm soient vendus mais la stratégie est de donner d’abord la chance aux entreprises hospitalières de prouver qu’elles sont rentables avant de procéder plus avant.

Une profusion de compagnies privées de soins de santé est en voie de remplacer le système de dispensateur unique. La plus importante, Praktikertjänst, fonctionne comme une coopérative de production détenue par des médecins, des infirmières, des psychiatres, des dentistes des physiothérapeutes ainsi que du personnel de soutien. Les 2300 cabinets de consultation de la coopérative offrent le meilleur des deux mondes aux employés comme aux clients – des frais d’administration partagés et les avantages en termes de coûts et de qualité des soins que permettent des opérations décentralisées et à petite échelle.

Ces réformes ont été menées à bien malgré une importante opposition idéologique. Comme le souligne Johan Hjertqvist, un consultant en santé suédois auprès du Conseil municipal de Stockholm: «Le système de soins de santé change rapidement en Suède. Beaucoup de gens n’apprécient pas cette nouvelle direction ni ses effets secondaires qu’on peut entrevoir dans l’émergence d’un marché pour les services sociaux. En Suède, tout comme au Canada, les déficiences du système de santé américain sont souvent cités en exemple pour créer la confusion et détourner le débat sur les réformes à faire.»

Toutefois, M. Hjertqvist est certain que le meilleur est encore à venir: «Les consommateurs de soins de santé souhaitent qu’on mette l’accent sur les besoins des clients, qu’on élimine les listes d’attente et que les soins soient dispensés par des employés motivés. Ce sont les petites entreprises gérées de façon indépendante, en particulier celles qui sont détenues par leurs employés, qui sont le plus à même d’offrir ce type de service.» Eva Fernvall renchérit: «Dans nos sociétés contemporaines, le vieux modèle (de soins de santé) ne fonctionne plus», écrivait-elle en 1997. «Il y a aujourd’hui un besoin de flexibilité, d’entrepreneurship et de création de nouveaux canaux pour accommoder la complexité de l’offre et de la demande, tenues en laisse depuis des décennies dans le cas des services de santé.»

Selon Mme Fernvall, la séparation des fonctions d’acheteur (le gouvernement) et de fournisseur (les employés de la santé) crée une dynamique qui aide à minimiser les coûts et à maximiser la qualité. Elle croit ardemment que le marché promeut la compétence dans ce domaine parce que les meilleures infirmières sont reconnues et récompensées. Selon elle, la présence de nombreux producteurs en compétition les uns avec les autres bénéficie plus aux patients parce qu’elle permet de compléter la structure organisationnelle du système et qu’elle procure de puissantes incitations à l’amélioration.

L’opinion de Mme Fernvall sur le vieux système étatisé est plutôt cinglante: «Il était devenu complètement impossible d’obtenir des hausse de salaire lors des négociations centrales» a-t-elle expliqué lors d’une entrevue plus tôt cette année. «On ne tenait plus du tout compte de votre performance.» M. Hjertqvist explique de son côté qu’un faible leadership, des salaires médiocres et l’absence de perspectives de promotion, couplés avec un taux de natalité en chute, avaient fait en sorte de réduire le pool de travailleurs de la santé à un tel point que le système public n’arrivait plus à trouver suffisamment de recrues.

Dès que les opérations sont privatisées, on constate que la situation générale s’améliore. Les maisons de retraite privées ont ainsi réduit leurs coûts de 20 à 30% et M. Hjertqvist note que selon une récente étude, les spécialistes du secteur privé sont plus efficaces que leurs collègues du secteur public parce qu’ils consacrent plus de temps à leurs patients, ce qui ajoute à la valeur des soins pour ces derniers.

Les réformes en Suède ont été initiées par la base, sous l’impulsion d’un mouvement dans tout le pays vers des gouvernements régionaux plus forts et une administration centrale plus faible. Stockholm est à l’avant-garde et d’autres grandes villes adoptent tranquillement le modèle de compétition. Dans les régions rurales moins sophistiquées, l’appui au monopole public traditionnel est plus important et les entrepreneurs médicaux privés se font plus rares.

Alors que les politiciens canadiens s’apprêtent à jeter des milliards de dollars pour soutenir notre système de santé public en perte de vitesse – et ce, même si les preuves existent que des fonds additionnels n’auront qu’un impact visible très restreint pour les patients s’ils ne sont pas accompagnés de réformes structurelles – les Suédois nous fournissent la preuve que la grosseur du budget a moins d’importance que la structure des institutions où il est dépensé.

 

Michel Kelly-Gagnon est président de l’IEDM, Peter Holle est président du Frontier Centre for Public Policy.

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