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Textes d'opinion

FORUM: Le Palmarès maudit?

Les réactions des porte-parole officiels du milieu de l’éducation au Bulletin des écoles secondaires ne surprennent pas. La raison tient au caractère indépendant de notre entreprise. Elle ne résulte pas de l’équilibre du pouvoir entre les acteurs qui définissent depuis quarante ans les politiques en matière d’éducation et surtout la nature de l’information accessible sur l’école. Cette entreprise de recherche ne s’est pas pliée aux exigences de la négociation quotidienne entre ces puissants acteurs où figurent bien d’autres enjeux que l’évaluation des écoles. Ce bulletin renferme donc inévitablement des irritants politiques. Mais il comble de grands besoins. Il est là pour rester.

Le caractère libre de notre recherche a permis une définition sans détour de son objectif: fournir une information de qualité à tous ceux qui ont à prendre des décisions à l’école secondaire. Et ils sont nombreux: parents, étudiants, mais aussi enseignants, cadres et professionnels, directeurs d’école et membres des conseils d’établissement. La récente réforme de l’Éducation a, en principe, accru les pouvoirs au niveau de l’école; ces pouvoirs ne se concrétiseront qu’avec de l’information de qualité sur l’école. L’information constitue une ressource essentielle à l’exercice du pouvoir: elle fait éminemment défaut, et les parents et les étudiants en sont les principales victimes. Il en résulte un profond déséquilibre des rapports entre les consommateurs et les offreurs de services éducatifs. Comment les parents siégeant au Conseil d’établissement peuvent-ils approuver un projet éducatif ou décider du nombre d’heures par matière s’ils ne connaissent pas la performance scolaire des étudiants dont ils ont la responsabilité? Pourquoi les parents s’impliqueraient-ils dans la gestion de leur école s’ils n’ont pas d’information pour nourrir leur jugement? Comment les parents et les étudiants peuvent-ils choisir leur école s’ils ne peuvent compter que sur des rumeurs?

Notre rapport a fourni à ces gens trois types d’information: un bulletin pour chaque école secondaire, un classement général et une explication des différences de performance entre les écoles.

Même si c’est le classement qui a d’abord attiré l’attention, le lecteur sérieux a vite remarqué que la pièce maîtresse de notre recherche est la présentation de 476 bulletins d’école. Chaque école secondaire dispose pour la première fois d’un tableau intelligible regroupant les renseignements les plus pertinents des six dernières années sur la performance scolaire de ses étudiants. L’école peut ainsi se comparer à elle-même et juger de son progrès. Figurent également le revenu des parents et un facteur de correction socio-économique. Du jamais vu a-t-on dit ! Il marque certainement un net progrès en clarté et en accessibilité.

Certains y déplorent l’absence du taux de diplomation. Il figure pourtant pour les écoles publiques offrant les cinq années de secondaire. D’autres s’insurgent du fait que le classement n’en tient pas compte: ils ont raison. Mais c’est le ministère lui-même qui est à la source de cette imperfection. Nous avons annoncé que, dès que nous recevrons du ministère les données sur les écoles privées, la cote globale et le classement intégreront le taux de diplomation. Nous attendons toujours ces données.

Ceux qui ont l’étudiant comme principal souci se méfieront des mauvaises incitations que produisent infailliblement des classements par sous-catégories du genre: écoles publiques francophones de milieu urbain défavorisé, écoles privées anglophones en région métropolitaine favorisée, etc. Imaginez la surprise d’un étudiant inscrit à une école classée au sommet d’une sous-catégorie mais qui n’arrive pas à se trouver un emploi à sa sortie ou à être accepté dans un programme d’études supérieures contingenté! Le message ainsi transmis par un classement «nuancé» crée l’illusion et n’inspire pas à l’étudiant un effort maximal. Le classement général rappelle que tous les étudiants seront froidement comparés les uns aux autres à leur entrée sur le marché du travail. L’origine socio-économique ou la langue maternelle ne pourront servir d’excuses à quiconque.

C’est d’ailleurs ainsi qu’on procède avec les étudiants. On n’accorde pas, dans une classe, dix premiers rangs selon dix catégories différentes: on produit plutôt un bulletin pour chaque élève qui l’aidera à poser un diagnostic précis. Le classement des écoles sert à une comparaison finale, le bulletin à un diagnostic en profondeur. Le classement constitue une référence à partir de laquelle il est possible d’établir des objectifs de performance en relation au sort de l’étudiant à la fin de ses études. Il cherche à éviter la complaisance même si les conditions d’exercice semblent fournir des explications plausibles à une moindre performance. (…)

Par ailleurs, l’analyse multivariée présentée en annexe du rapport constitue une véritable première. Elle ne fait pas que documenter le contexte socio-économique de chaque école (une information brute à ce sujet laisse penser, comme l’a fait l’indice de défavorisation, que la performance scolaire est le seul résultat du contexte socio-économique); au contraire, elle vérifie systématiquement (en coupe instantanée) l’association entre les données de contexte et la performance scolaire. La conclusion, en harmonie avec les récentes recherches, renverse les idées reçues: l’école compte plus que les soi-disant déterminants socio-économiques. Ces derniers ne comptent guère que pour 13% dans l’explication alors que les facteurs organisationnels (taille de l’école, régime public/privé) comptent pour 27%.

Que l’école importe plus que les conditions socio-économiques, voilà donc le message le plus puissant, le plus constructif et le plus motivant qu’on puisse imaginer. Il mérite d’être retenu.

Notre rapport est conçu pour être utilisé au niveau de l’école et non pas pour juger de l’ensemble du système d’éducation. Il n’y a pas dans notre rapport de compilations privée/publique ou anglophone/francophone. La réaction des officiels au classement est symptomatique: ils réclament un classement nuancé mais ne disent mot du bulletin! Cette pure incohérence révèle une stratégie: discréditer l’ensemble de l’exercice pour éviter une large diffusion aux parents d’un outil de gestion de l’école. Mais il est clair que cette stratégie ne fonctionnera pas. Misons sur l’intelligence des parents pour interpréter ces données. Ils exerceront mieux leur pouvoir là où ça compte. Car l’école fait la différence.

Richard Marceau est co-auteur du Bulletin des écoles secondaires, chercheur associé à l’IEDM et professeur à l’ÉNAP.

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