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Textes d'opinion

L’État peut-il combattre efficacement la pauvreté?

Même en période de forte croissance économique et de création d’emplois, la pauvreté reste un sujet brûlant d’actualité. Elle l’est d’autant plus que les gouvernements disposent maintenant de surplus budgétaires massifs et qu’ils ont les moyens de financer de nouveaux programmes de lutte contre la pauvreté s’ils le souhaitent. Le moment est donc propice à un bilan de l’intervention de l’État dans ce dossier, pour voir si l’on peut réellement combattre la pauvreté par l’injection de fonds supplémentaires ou par de nouveaux programmes.

Une récente analyse de notre institut intitulée L’État-providence et les pauvres conclut, contrairement à l’idée reçue, que l’augmentation des dépenses sociales n’a pas vraiment réduit la pauvreté au Canada. Environ 31% des dépenses publiques canadiennes, tous paliers d’administration confondus, sont consacrés aux programmes sociaux, c’est-à-dire aux divers paiements de transferts destinés à soutenir les revenus des particuliers ainsi qu’à certains frais administratifs connexes. Si l’on définit les programmes sociaux au sens large et qu’on y ajoute la santé et l’éducation, cette proportion passe à 60% (en chiffres absolus, la somme atteignait les 227 milliards de dollars en 1997).

On constate par ailleurs que seule une partie des dépenses sociales bénéficie effectivement aux pauvres. À part l’assistance sociale, dont les prestations concernent surtout des personnes à faible revenu, la plupart des programmes et paiements de transfert visent l’ensemble des citoyens, riches ou pauvres. Certains dépenses, comme l’éducation post-secondaires, bénéficient même plus aux classes nanties. En se basant sur des estimations et hypothèses prudentes(1), on arrive à la conclusion que seulement 38% des dépenses sociales canadiennes (soit 87 milliards de dollars sur 227 en 1997) sont consacrés aux pauvres.

Les montants réels de dépenses sociales par habitant ont presque doublé de 1980 à 1997, passant de 1928 à 3725 dollars par habitant (en dollars constants de 1992). Des débours d’une pareille importance auraient dû réduire graduellement le taux de pauvreté. Or, durant cette même période, ceux que Statistique Canada appelle «gens à faible revenu» sont passés de 14% à 19% de la population. Selon ces mêmes statistiques, les dépenses sociales et la pauvreté ont évolué tantôt en parallèle, tantôt en sens inverse. Aucune corrélation, donc, entre hausse des dépenses sociales et l’évolution du taux de pauvreté.

Le problème ne semble pas tenir à un manque de fonds mais plutôt à l’utilisation des sommes. L’analyse de l’IEDM montre en effet que si les 5,4 millions de pauvres au Canada touchaient vraiment ne serait-ce qu’une partie des dépenses sociales qui leur sont dédiées, ils franchiraient le seuil de la pauvreté sans encombre. La redistribution de 37 milliards de dollars y suffirait.

Combattre la pauvreté, cela s’impose, mais encore faut-il tirer des leçons de l’intervention. La meilleure solution – on le verra – n’est pas forcément d’accroître les budgets. Vu l’efficacité restreinte des moyens utilisés depuis vingt ans, on doit songer à de nouvelles solutions.

Notes

1. La seule estimation statistique dont nous disposons concerne la situation de 1981 et remonte aux travaux accomplis par le professeur François Vaillancourt pour la Commission Macdonald. Nos estimations tiennent compte des changements survenus depuis cette période en restant prudent.

 

Michel Kelly-Gagnon est président de l’IEDM.

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