Le prix élevé de l’essence: qui est responsable?
Le député Paul Crête du Bloc Québécois faisait récemment adopter une motion visant à faire comparaître d’ici quelques semaines les dirigeants des grandes pétrolières devant le comité des Communes sur l’Industrie. Les comparutions auront pour but d’étudier «les causes possibles de la hausse inexpliquée des prix de l’essence, les effets négatifs de cette hausse sur l’économie et de recommander des mesures collectives appropriées au gouvernement fédéral».
Il y a cependant fort à parier que nos élus ne feront pas d’effort particulier pour souligner qu’ils sont eux-mêmes grandement responsables du prix élevé de l’essence. On oublie en effet un peu trop facilement que ce prix dépend non seulement des profits des raffineurs et des détaillants, du coût du pétrole brut, de son raffinage et de sa distribution, mais également dans une très large proportion des innombrables taxes de nos gouvernements.
Quelques faits
Selon l’Agence internationale de l’énergie (AEI), une division de l’OCDE, le prix moyen d’achat à la pompe pour l’essence régulière au Canada oscillait en janvier 2003 aux environs de 75¢ le litre contre environ 58¢ un an plus tôt. Il a augmenté de plus de 10% ces dernières semaines pour atteindre près de 90¢ le litre dans certaines régions.
Ces prix sont-ils trop élevés? Oui et non, selon la perspective que l’on adopte.
Il faut en premier lieu remarquer que si le prix canadien de l’essence a augmenté considérablement depuis un an, c’est d’abord et avant tout parce que le cours du pétrole brut est passé d’environ 18$ US le baril en janvier 2002 à près de 37$ US aujourd’hui en raison notamment de la situation politique au Vénézuéla et en Irak et d’un hiver plus rigoureux que la moyenne en Europe et en Amérique du Nord.
Lorsqu’on les compare à ceux des autres pays industrialisés, force est de reconnaître que les prix canadiens demeurent parmi les plus bas (Graphique 1). Le coût du litre d’essence ordinaire à la pompe dans les principaux pays industrialisés oscillait ainsi en janvier 2003 entre $1,36 CAN en Espagne et $1,98 CAN en Angleterre.
Le poids des taxes
Comme l’indiquent les statistiques canadiennes les plus récentes sur le site de l’Agence internationale de l’énergie (novembre 2002), les coûts du prix canadien de l’essence à la pompe se répartissent généralement de la façon suivante: le prix du pétrole brut représente environ 40% du coût total et celui du raffinage et de la distribution environ 14%; la portion restante, soit environ 46%, est composée des innombrables taxes de nos gouvernements (Graphique 2).
L’augmentation du prix du pétrole brut depuis quelques mois a réduit légèrement la proportion représentée par les taxes dans le reste du Canada, mais elle demeure à peu près la même au Québec où les taxes sont plus élevées.
Par exemple, sur la base d’un baril de pétrole brut à 34$ US et d’un prix de 88¢/litre au Québec, environ 40¢ (soit 45% du prix de détail) vont garnir les coffres de nos gouvernements. De ce montant, la taxe d’assise fédérale représente environ 10¢, la taxe routière provinciale environ 15¢, la taxe urbaine de la grande région de Montréal servant à financer le transport en commun 1,5¢/litre, et la TPS et la TVQ environ 13¢.
Sans les taxes, le prix québécois à la pompe serait d’environ 48¢/litre.
En résumé, les taxes et le prix du brut représentent 84% du prix à la pompe. L’industrie peut donc influencer environ 16% seulement du prix à la pompe.
Et le profit des grandes pétrolières et des détaillants une fois que l’on a tenu compte des coûts de raffinage et de distribution? Quelques cents le litre, sans plus.
Dans ces conditions, vaut-il la peine de clouer au pilori les entreprises pétrolières? Pourquoi ne pas plutôt convoquer une commission parlementaire qui permettrait aux automobilistes canadiens et québécois de savoir si leurs politiciens font un bon usage de leurs faramineuses taxes sur l’essence?
Source des données: Agence internationale de l’énergie.
Pierre Desrochers est directeur de la recherche à l’IEDM.