Forum: Québec doit-il baisser les impôts quelles qu’en soient les conséquence? Oui, le milliard promis par Jean Charest n’a rien d’exagéré
L’opinion est répandue que l’État canadien et ses composantes ont connu le rationnement ces dernières années, et que, par suite des allégements fiscaux, ils ont été forcés de couper dans les services essentiels. La réalité est que les gouvernements canadiens exercent sur l’économie canadienne une ponction supérieure à celle de toute autre période antérieure (près de 45% du PIB au Québec) et aussi supérieure à ses principaux partenaires commerciaux. Les seules dépenses fédérales de programme (à l’exclusion du service de la dette) ont connu une expansion de 31% en 4 ans. La famille canadienne moyenne verse près de 50% de son revenu en taxes. Son compte de taxe s’est alourdi de 1,286% depuis 1961, pour absorber plus que la somme combinée du logement, de l’alimentation et du vêtement. Des quatre pays avec lesquels on commerce le plus, c’est au Canada que la charge fiscale s’est le plus appesantie au cours des trois dernières décennies. Le seul impôt sur le revenu a augmenté deux fois plus qu’aux États-Unis.
Là où le Canadien moyen verse 86.79 $ en taxes de toutes sortes, et l’Ontarien 93,16 $, le contribuable québécois est allégé de $100,00. L’Américain de son côté n’est affligé que d’un fardeau de 76,22 $. De tous les habitants du G-7, il n’y a guère que le Français et l’Italien qui portent un fardeau plus lourd. Le jour de libération fiscale, calculé par l’Institut Fraser, tombe cette année, le 2 juillet au Québec, 2 jours plus tard que l’année dernière. Ce qui signifie que les Québécois ont trimé jusqu’au 1er juillet pour s’acquitter de toutes leurs taxes aux différents niveaux de gouvernement depuis le début de l’année. Le milliard d’allégement fiscal promis par le gouvernement Charest n’a donc rien d’exagéré; il ne ferait que ramener le poids fiscal du Québec à 48,3% du revenu familial, soit à peu près au taux moyen de l’ensemble du Canada (48,6%).
La baisse d’impôt fédérale de 2000 abaissait moins qu’aux États-Unis les taux marginaux, qui sont les plus néfastes à la croissance et à la création de richesse. Le taux marginal d’imposition le plus élevé s’inscrit à près de 50% au Québec, sur un revenu de 103 000 $. Ce taux spoliateur se compare à un taux de 44,7 en Alberta, de 45 en Ontario et de 43,7 (sur un revenu de 425 000 $) aux États-Unis.
Du côté de la fiscalité des entreprises, les taux d’imposition des profits s’inscrivent à 44% au Canada, à comparer à 34% dans les 47 pays retenus par le 1999 World Competitiveness Yearbook. Le taux est de 39% aux États-Unis. Le taux effectif des taxes sur le capital des sociétés s’élève à 31,8%, comparé à 20,1% aux États-Unis (J. Mintz) Si on combine les taxes sur le capital et sur la propriété des entreprises, la position du Canada est presque la plus mauvaise au monde, à 4% du PIB.
Pourquoi il faut alléger le fardeau fiscal
Coût administratif des taxes: Selon un sondage de Decima Research, 33% des contribuables préféreraient subir un traitement de canal à une dent, plutôt que de subir le supplice de préparer leur rapport d’impôt. La seule loi fédérale sur l’impôt sur le revenu compte 1 762 pages, auxquelles s’ajoutent 800 pages de réglementations. La loi québécoise de l’impôt compte 1 210 articles. Ottawa à lui seul dépense 2,6 milliards par année pour garantir notre assujettissement rigoureux. Mais ce montant ne pèse pas lourd comparé au fardeau que la fiscalité impose aux contribuables forcés de s’y conformer. Le coût aux grandes entreprises s’élève de 2,3 à 4,5 milliards (Plamondon et Zussman). Cette somme représente 5% de leur assiette fiscale. Les PME ne sont pas en reste: La complexité du code fiscal leur impose le recours aux services professionnels, comptables et avocats, pour satisfaire à l’appétit vorace du fisc. Les individus eux-mêmes ne sont pas épargnés. Selon le sondage du groupe NFO CF, 75% des Canadiens recourent aux services extérieurs pour la préparation de leur déclaration. Déjà en 1989, on calculait (Vaillancourt) que les individus dépensaient 1,9 milliard chaque année pour satisfaire aux exigences du fisc.
Coûts économiques des taxes: Contrairement à la perception populaire, les taxes ne sont pas qu’un simple transfert entre individus ou entreprises par l’entremise de l’État. Par exemple, l’impôt progressif affecte les comportements des gens qui s’ingénieront à trouver les moyens de limiter le prélèvement. Ils travailleront moins, investiront moins, modifieront la composition de leurs actifs, chercheront le moyen de toucher leur revenu d’une façon qui les soustraie au fisc. L’observation d’une économie souterraine florissante, les multiples détours empruntés pour éviter les taxes de vente, l’hésitation à faire du temps supplémentaire déclaré, ainsi que la fuite des capitaux vers les paradis fiscaux quand ce n’est pas l’émigration des citoyens les plus riches et les plus talentueux, illustrent l’ampleur du phénomène. Le Canada se classe mal dans l’attrait qu’il exerce sur les investissements. Au cours de la dernière décennie, l’investissement canadien net en machinerie et équipement par personne est en retrait de 18,3 % sur le chiffre américain. La même leçon se dégage de la comparaison entre l’accumulation de capital en Alberta (34 784 $ par tête) d’une part, au Québec et en Colombie-Britannique d’autre part (guère plus de 20 000 $). Il en va de même de l’évolution du nombre de sièges sociaux des grandes sociétés.
La relation qui relie croissance et fiscalité est donc bien documentée. Elle révèle au total qu’une hausse de 10 points (% du PIB) des taxes s’accompagne d’une baisse approximative de un point (%) du taux de croissance annuelle. Le budget fiscal explique 42% des variations de croissance entre les pays de l’OCDE. Au total, le coût économique des taxes peut atteindre 100% de la valeur de l’impôt levé au Québec. A partir d’un certain poids fiscal, que le Québec a peut-être atteint, les rentrées fiscales peuvent décliner lorsque les taux augmentent, en raison de l’évasion fiscale et du refus des gens de s’engager dans des activités productives. On a donné un nom à ce phénomène, la courbe Laffer. Les travaux des 20 dernières années confèrent validité à cette vision dynamique de la fiscalité (Feldstein et Auerbarch). Cette perspective a au minimum le mérite de nous rappeler qu’il faut créer la richesse avant de la redistribuer.
Coûts politiques des taxes: Une autre version de la vision conventionnelle pose que les gouvernements recherchent le bien commun et prélèvent donc juste assez de taxes pour y pourvoir. Quand on abandonne ce postulat angélique, on réalise que les gouvernements réels s’emploient surtout à opérer des transferts politiquement inspirés entre les individus et les groupes. Il faut présumer dès lors que les exigences fiscales seront infinies. Dans la comptabilité du fardeau fiscal, on ne saurait donc faire abstraction de l’action politique coûteuse (la course aux faveurs) engagée par tous et chacun pour se valoir des traitements privilégiés. Dans une version de la Loi de Parkinson, surtout propagée par le lauréat Nobel G. Becker, les dépenses publiques augmentent pour rejoindre les revenus. «Qu’on leur donne l’argent; ils ne manqueront pas de le dépenser». L’analyse et l’histoire récente attestent que c’est en affamant les gouvernements qu’on peut le mieux les freiner.
Conclusion
Combiné à l’allégement de la réglementation de l’activité économique (coût annuel égal à 13 700$ par famille) et à la libéralisation du marché du travail, dont la sous-traitance, l’allégement fiscal serait le plus grand service que l’administration actuelle puisse rendre au Québec. L’abaissement généralisé des taxes déclencherait une véritable explosion de prospérité retrouvée.
Jean-Luc Migué est chercheur associé à l’IEDM.