Article 45, deux points de vue – D’abord un problème d’interprétation
L’historique législatif de cette disposition permet d’affirmer que la protection offerte découle directement d’une décision de la Cour d’appel du Québec en 1958 qui décidait que la convention collective négociée par le vendeur ne saurait s’appliquer au nouvel acquéreur d’une entreprise étant donné que celui-ci n’était pas, à l’origine, une partie au contrat qu’est la convention collective.
Cet arrêt de la Cour d’appel du Québec était notamment fondé sur le principe de droit civil voulant qu’un contrat n’a d’effet qu’entre les parties contractantes. Pour modifier l’état du droit à cet égard, une première loi est adoptée par l’Assemblée législative du Québec en 1961 qui conférait une protection fort similaire à celle prévue à l’actuel article 45 du Code du travail. Le libellé actuel de l’article 45 a été adopté en 1964.
Il est donc généralement reconnu qu’à l’origine, l’objectif de l’article 45 était d’empêcher que des salariés ne perdent les droits et les avantages qui leur sont octroyés dans la convention collective en raison de la vente de l’entreprise ou des modifications à sa structure juridique. Dans les premières années qui suivirent l’entrée en vigueur de l’article 45, les tribunaux spécialisés québécois avaient décidés qu’un contrat de sous-traitance n’était pas visé par cette disposition.
Cependant, par la suite, deux courants sont apparus au sein de ces tribunaux. Selon le premier, il suffisait de retrouver chez le sous-traitant les fonctions exercées chez le donneur d’ouvrage qui étaient couvertes par une convention collective pour constater l’application de l’article 45. Pour les tenants du second courant, il fallait en plus constater que l’entreprise du donneur d’ouvrage se retrouvait substantiellement chez le sous-traitant, et cela sur la base d’éléments tangibles et identifiables.
En 1988, la Cour Suprême du Canada a tranché le débat jurisprudentiel qui existait au sein des tribunaux spécialisés et c’est cette seconde interprétation qui a en bout de ligne été préférée par le plus haut tribunal du pays.
Jurisprudence
Étant donné la jurisprudence développée par les tribunaux spécialisés, la Cour Suprême, dans une cause impliquant la Ville de Sept-Îles, a récemment refusé d’intervenir à l’égard d’un tribunal qui avait conclu à l’application de l’article 45 du Code du travail en matière de sous-traitance alors que seul le droit d’exploitation, sans aucun autre élément tangible, avait été transféré. Cette décision ne rencontrait pas le critère de caractère déraisonnable exigé par la Cour.
Ainsi, un sous-traitant qui détient ses propres équipements et qui embauche des employés distincts du donneur d’ouvrage pourrait être déclaré lié par l’accréditation et la convention collective qui avaient cours chez le donneur d’ouvrage. Dans cette situation qui se produit d’ailleurs fréquemment, les employés du donneur d’ouvrage ne bénéficient d’aucune protection puisque ce sont les employés du sous-traitant qui se voient dorénavant accrédités.
Il existe dans d’autres provinces canadiennes des dispositions législatives dont la rédaction est similaire à celle de l’article 45 du Code du travail. Or, l’interprétation qui a été faite de ces dispositions par les tribunaux respectifs de ces provinces n’a pas pour effet d’imposer au sous-traitant la convention collective du donneur d’ouvrage lorsque aucun ou peu d’éléments tangibles et identifiables sont transférés.
Il semble que c’est en regard de ce contexte historique que le projet de loi 31 a été déposé. Ce dernier vise à ce que l’article 45 redevienne fidèle à son objectif d’origine, soit d’assurer que la vente d’une entreprise n’ait pas pour effet de faire échec au droit d’association des employés.
Me Guy Lemay est avocat spécialisé en droit du travail et chercheur associé à l’IEDM.