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Textes d'opinion

Les effets pervers du contrôle des prix des médicaments

Cancer, sida, Alzheimer, maladies cardiaques, cholestérol… Nous attendons tous que les compagnies pharmaceutiques livrent leurs nouveaux médicaments pour les soigner et les guérir. Mais en même temps, la perception que les grandes firmes pharmaceutiques «arnaquent» la population malade est très largement répandue. Les multinationales pharmaceutiques ne comptent-elles pas parmi les entreprises les plus profitables, tous secteurs confondus?

Parallèlement, les gouvernements ne cessent d’alerter la population sur l’explosion des dépenses en médicaments. La part de celles-ci dans les dépenses totales de santé au Canada a connu une envolée de 10,8% à 15,7%, entre 1988 et 2001.

En conformité avec cette croyance, le Canada impose un contrôle administratif des prix des médicaments brevetés. Paradoxalement, l’effet pervers de ce contrôle est de causer des pertes économiques en entravant l’innovation pharmaceutique canadienne et de retarder, par conséquent, la disponibilité des nouveaux médicaments.

En dépit des apparences en effet, cette vision est largement incorrecte et ne correspond pas à la réalité. L’augmentation des dépenses de médicaments n’a rien à voir avec une augmentation des prix que pratiqueraient les compagnies pharmaceutiques. En réalité, il y a très peu de produits dont les prix sont autant contrôlés que ceux des médicaments brevetés.

Peu de gens ont probablement entendu parler du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés (CEPMB). Or, depuis 1987, par son intermédiaire, le gouvernement canadien fixe les prix de lancement des nouveaux médicaments et plafonne ensuite leurs augmentations en fonction de l’inflation. À ce contrôle administratif s’ajoute le gel des prix d’achat que les gouvernements du Québec et de l’Ontario pratiquent depuis plus de 10 ans.

La vérité est que les prix réels – après prise en compte de l’inflation – des médicaments brevetés ont chuté en moyenne entre 1998 et 2002 de 1,9%. Les principaux facteurs expliquant la croissance des dépenses en médicaments sont l’utilisation plus fréquente des médicaments et les marges bénéficiaires des grossistes et détaillants. Ainsi, si les prix que nous payons en pharmacie augmentent, cela n’a rien à voir avec les prix des multinationales pharmaceutiques.

Mais si le contrôle administratif des prix n’est d’aucune utilité pour maîtriser les dépenses en médicaments, ses conséquences pour l’innovation sont catastrophiques. Ceci réduit le volume des recettes que les compagnies réalisent au Canada. Or, de ce volume dépendent les investissements: moins il est important au Canada, moins les filiales canadiennes des compagnies se voient confier de budgets de R&D.

D’autre part, le contrôle des prix affecte la profitabilité qui découle de l’innovation et du lancement de nouveaux médicaments. Dans la fixation de ses prix, le CEPMB prend pour comparaison les médicaments déjà existants, brevetés ou génériques. Or, les coûts en R&D des premiers remontent parfois à 10 ou 15 ans, alors que ceux des seconds sont pratiquement inexistants. Étant donné que les vieux médicaments servent de comparaison, les compagnies n’ont aucune incitation à baisser leurs prix. Ainsi, paradoxalement, le contrôle des prix nous force à payer certains vieux médicaments brevetés plus cher que s’il n’y avait pas de contrôle. Une telle situation laisse plus de liberté aux producteurs de médicaments génériques dont les prix, pour certains d’entre eux, sont plus élevés ici qu’aux États-Unis!

Pire encore: les compagnies pourraient même se voir obligées de rembourser des sommes considérables, comme Schering Canada Inc., qui a dû rembourser 7,8 millions $ en 2003 pour avoir pratiqué un prix jugé «excessif» pour son médicament Remicade. Qui serait tenté d’investir ses fonds en R&D dans ces conditions? Il n’est pas étonnant que les investisseurs en retirent une partie croissante: ainsi, la part des dépenses en R&D des compagnies au Canada par rapport aux recettes des ventes a chuté de 11,32% en 1997 à 9,24% en 2002.

Il ne faut d’ailleurs pas croire que le contrôle des prix est uniquement néfaste pour les malades. Il est aussi la cause de pertes pour toute l’économie, en termes d’emplois hautement qualifiés, de centres de recherche corporatifs, d’emplois non créés dans les industries de biens et de services sous-traitantes, des traitements de santé moins performants, etc. Ainsi, selon une étude de la firme Bain & Co., un tel contrôle des prix aurait «coûté» à l’Allemagne 3 milliards $ US en 2002.

Le contrôle des prix est d’autant plus injustifié qu’il y a de fortes raisons de croire qu’en son absence les prix des médicaments resteront, en moyenne, sensiblement les mêmes. Il est fort peu probable qu’ils connaissent une envolée vers les niveaux observés aux États-Unis où ils sont entre 40 et 60% plus élevés.

Le contrôle des prix des médicaments, en entravant l’innovation, pourrait bien coûter la vie de malades en attente de nouveaux traitements. À ce prix-là, ne devrait-on pas reconsidérer une politique qui n’atteint même pas ses objectifs?

Valentin Petkantchin est directeur de la recherche à l’IEDM et auteur de la Note économique Le contrôle des prix des médicaments et l’innovation pharmaceutique.

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