Mieux gérer nos forêts (2)
Comme on l’a vu la semaine passée, la crainte d’une pénurie de bois au Québec semble peu fondée. Examinons maintenant l’opinion selon laquelle le gouvernement est trop absent de la gestion de nos forêts.
La vaste majorité des Québécois se réjouissent de ce que les forêts publiques représentent plus de 87% du territoire forestier de la province. En pratique, toutefois, la gestion gouvernementale fait plusieurs insatisfaits.
Des propriétaires de forêts privées accusent le gouvernement de vendre le bois tiré de la forêt publique à un prix trop bas. D’autres estiment que les mesures de reboisement favorisent les conifères au détriment des feuillus. De leur côté, les pourvoyeurs accusent l’État de ne pas faire assez d’efforts pour préserver le capital naturel dans leur zone d’exploitation. La Loi sur les forêts impose des règles très contraignantes pour les citoyens. Ainsi, personne n’a le droit de couper un arbre sur les terres publiques pour son usage personnel. Ces restrictions s’expliquent par la «tragédie de l’accès libre», processus par lequel le libre accès à une ressource ayant une valeur marchande mène inévitablement à sa dilapidation. L’illustration classique est celle d’un pâturage qui peut être utilisé par tous les bergers d’une région. Immanquablement, chacun d’eux a intérêt à augmenter la taille de son troupeau, car s’il ne le fait pas, ses concurrents le feront. Ce processus mène inévitablement à la surexploitation et à la destruction du pâturage.
On peut prévenir cette tragédie en instaurant des contrôles ou en privatisant la ressource. En pratique, la privatisation mène normalement à un meilleur usage, car un propriétaire a intérêt à maintenir ou à augmenter la valeur de ses biens, tandis que les politiciens pratiquent plutôt une gestion à courte vue pour des raisons électorales.
La forêt québécoise illustre bien cette dynamique. Bien que la surface des terres publiques soit près de sept fois plus étendue que celle des forêts privées, on y plantait beaucoup moins d’arbres jusqu’à la réforme du régime forestier au milieu des années 1980. Le cas québécois n’est pas unique. Il y a quelques années, il se cultivait plus d’arbres qu’il s’en coupait dans les forêts privées américaines, alors qu’il s’en coupait beaucoup plus qu’il ne s’en plantait sur les terres publiques. Les propriétaires privés avaient intérêt à maintenir la valeur de leur investissement, tandis que les politiciens préféraient la gestion susceptible de leur attirer des votes. Le cas de la forêt suédoise est révélateur. Richard Desjardins soutient qu’elle fournit un rendement de trois à quatre fois plus élevé que la forêt canadienne. Or, il est intéressant de constater que seulement 5% de la superficie forestière suédoise est propriété de l’État, tandis que quatre grands groupes en possèdent 37% et de plus petits propriétaires, 50%. La propriété privée des terres forestières favorise aussi leur mise en valeur récréo-touristique.
Plusieurs sociétés américaines qui sont propriétaires de leurs forêts tirent ainsi un revenu croissant de la chasse, de la pêche, du camping et des randonnées pédestres, ce qui les incite à réduire leur volume de coupe. Il est donc erroné de croire que le statut de propriété publique d’une zone forestière en assure une exploitation plus durable ou qui concilie mieux les intérêts divergents de nombreux intervenants que la propriété privée.