Bannir la médecine privée, une mauvaise idée

Quiconque a eu besoin de soins ces dernières années en est bien conscient: notre système de santé craque de partout.
Qu’il s’agisse de consulter un généraliste, un spécialiste ou un urgentiste, l’attente est devenue la norme, et ce, depuis longtemps.
Tout le monde reconnaît que le système actuel doit changer, y compris le ministre de la Santé, Christian Dubé, et le Collège des médecins.
Dans le cadre du projet de loi 83, le gouvernement du Québec cherche à restreindre la pratique indépendante de la médecine, en empêchant les nouveaux diplômés d’y accéder pendant leurs premières années de pratique et en confiant leurs choix de carrière aux bonzes de Santé Québec.
Jugeant que le gouvernement ne va pas assez loin, le Collège des médecins propose carrément d’empêcher les médecins québécois d’exercer en pratique indépendante.
Or, ces mesures contrastent avec la façon dont fonctionnent les systèmes de santé universels les plus performants et les plus accessibles.
En ce qui concerne l’accès aux soins, les problèmes que nous vivons avec les listes d’attente au Québec sont la norme un peu partout au Canada. C’est pourquoi, dans son classement des systèmes de santé, le réputé Commonwealth Fund nous place septième sur 10 en matière d’accessibilité.
Devant le Canada figurent des pays comme la Suède, la France et les Pays-Bas.
Tous ont, comme nous, adopté un modèle universel, considérant que chacun devrait avoir accès aux soins de santé, peu importe ses moyens financiers.
Enchaîner les médecins à un système défaillant qui épuise son personnel soignant ne réglera pas nos problèmes. On devrait plutôt miser sur la flexibilité, comme l’a fait le Danemark.
Tous trois autorisent aussi leur personnel médical à pratiquer au privé, reconnaissant que ce type de pratique peut soutenir le reste du système de santé en augmentant le nombre de traitements réalisés.
En fait, avoir un système de santé universel avec une composante privée n’est pas l’exception, mais bien la norme dans les pays de l’OCDE.
Au Danemark, par exemple, le système de santé permet la pratique mixte. Cela permet aux médecins d’aménager leur horaire de manière à travailler à la fois dans le secteur public et dans le privé.
Contrairement au Québec qui force les médecins à choisir entre les deux secteurs, menant au «va-et-vient» tant décrié par Christian Dubé, les médecins en pratique mixte peuvent, par exemple, exercer à temps plein dans un hôpital public, puis faire des heures additionnelles en clinique privée.
Si la pratique mixte était permise au Québec, les médecins n’auraient pas autant d’incitation à se désaffilier du réseau public.
Une étude menée sur le cas danois n’a d’ailleurs pas trouvé une différence significative entre le nombre moyen d’heures travaillées dans les hôpitaux publics entre les médecins en pratique mixte et leurs homologues exerçant uniquement dans le réseau public.
Cela signifie qu’en moyenne, les médecins en pratique mixte augmentent plutôt leur nombre d’heures de travail hebdomadaire pour les consacrer à leur pratique indépendante. Au final, cela permet de soigner un plus grand nombre de patients.
Flexibilité
Le cas du Danemark est loin d’être unique. Mais il montre qu’en donnant plus de flexibilité aux médecins, il est possible d’augmenter la capacité de traitement.
Il s’agit d’ailleurs de l’une des raisons les plus communément évoquées par les médecins pour se désaffilier de la RAMQ, bien avant la question des revenus.
Il ne faut pas oublier qu’ouvrir sa propre clinique ne garantit pas la richesse, contrairement à ce qu’en pensent certains.
Cela exige d’importants investissements et, si la clientèle n’est pas au rendez-vous, ce sont vos finances qui en subissent les conséquences.
Mais malgré ces risques, ceux qui décident de faire ce saut de foi le font dans l’espoir d’obtenir ce qui leur tient le plus à cœur: leur liberté professionnelle.
C’est le cas de nombre de médecins plus âgés, notamment, qui n’ont plus nécessairement la capacité de supporter la pression du système public, mais qui souhaitent continuer à soigner des Québécois et des Québécoises un peu plus longtemps.
Enchaîner les médecins à un système défaillant qui épuise son personnel soignant ne réglera pas nos problèmes. On devrait plutôt miser sur la flexibilité, comme l’a fait le Danemark.
Emmanuelle B. Faubert is an Economist with the MEI and the author of “Response to the Quebec Order of Physicians Proposal to Ban Private Practice.” The views reflected in this opinion piece are her own.