L’électricité à bas prix coûte cher aux Québécois
Au Québec, nous nous réjouissons de pouvoir profiter de tarifs sur l’électricité parmi les plus bas sur la planète, à tel point qu’on pourrait s’attendre à une levée de boucliers si Hydro-Québec annonçait une hausse des prix supérieure à l’inflation.
En mars dernier, même le premier ministre a appelé la société d’État à modérer ses hausses, pourtant modestes. Toutefois, des tarifs plus élevés pourraient entraîner des bénéfices considérables pour les finances publiques, l’économie et l’environnement.
Pourquoi augmenter les tarifs? D’abord pour limiter notre consommation. La consommation d’énergie est le plus grand responsable des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle planétaire.
Mais l’électricité que nous consommons au Québec est propre, répondra-t-on. Le problème est qu’en surconsommant de l’électricité « propre » que l’on pourrait vendre à un Américain, par exemple, on force ce dernier à s’approvisionner ailleurs en électricité, plus polluante. Aux États-Unis, près de 50 % de l’électricité provient du charbon. En Chine, c’est 60 %, et en Inde, presque 75 %. En d’autres mots, des efforts supplémentaires de conservation d’énergie ici permettraient d’accélérer la fermeture des chaudières au charbon ailleurs.
En gaspillant notre électricité, on contribue donc à faire augmenter la quantité de CO2 émise sur la planète.
En plus, puisqu’on vendrait notre électricité aux Américains plus cher que ce que l’on paie ici, on prive le gouvernement du Québec de recettes importantes.
Ces profits supplémentaires, qui pourraient être générés sans avoir à construire de nouveaux barrages, pourraient par exemple servir à réduire la dette et à baisser les impôts des Québécois (toujours les plus élevés en Amérique du Nord). Et le coût pour les ménages du Québec? En combinant les hausses de tarifs à des baisses d’impôt, des mesures d’économie d’énergie et des crédits pour les familles à revenus modestes, l’impact serait minime.
Penser à long terme
Pour le moment, il n’y a pas urgence, Hydro-Québec étant en situation de surplus. À long terme, l’électrification des transports et la construction de nouvelles lignes de transmission vers les États-Unis devraient les faire diminuer fortement. L’Ontario pourrait aussi finir par réaliser qu’acheter de l’électricité du Québec lui coûterait moins cher que de rénover ses centrales nucléaires.
Notre électricité abondante, fiable, propre et bon marché est également convoitée par les entreprises qui hébergent des données – des multinationales comme Amazon, Google, Microsoft, IBM et Ericsson sont déjà installées ici – et par des entreprises du secteur manufacturier. Plus on en attirera, plus les revenus d’Hydro-Québec et l’économie vont croître rapidement, et plus le Québec contribuera à la réduction de la consommation d’électricité produite ailleurs à partir du charbon.
L’inflation, plus 1 %
Que devrait donc faire Hydro-Québec? En augmentant les tarifs de 1 % de plus que l’inflation chaque année et en implantant graduellement un régime de prix variant selon la demande pour la réduire en période de pointe, on inciterait les consommateurs à changer leurs habitudes tout en leur laissant le temps de s’adapter.
Ceux-ci pourront par exemple remplacer les ampoules incandescentes par des DEL, prendre l’habitude d’éteindre les appareils et les lumières en quittant la maison, fermer les fenêtres l’été quand la climatisation marche à fond, baisser le chauffage la nuit en hiver et mieux isoler leur maison afin de limiter les dépenses.
S’équiper d’appareils intelligents à la fois pour réduire sa consommation et la planifier hors des périodes de pointe est particulièrement avantageux. Cela évite d’avoir à construire des installations supplémentaires pour ces seules périodes et permet de vendre les surplus à l’extérieur du Québec à fort prix.
À long terme, le tarif payé par les Québécois demeurerait inférieur aux prix sur le marché pendant des décennies et l’augmentation de nos dépenses en électricité serait vraisemblablement minime.
Évidemment, si, d’ici là, on a tous deux voitures électriques dans le garage et quatre serveurs à la maison, notre facture risque d’augmenter. Mais c’est une raison de plus pour rationaliser notre consommation le plus rapidement possible.
Les Québécois ne peuvent plus se permettre de vendre l’électricité qu’ils produisent à bas prix, même s’il s’agit d’une proposition attrayante et populaire. En réalité, cela nous coûte cher à tous en plus de nuire à notre croissance économique et contribuer au réchauffement de la planète.
Luc Vallée is Chief Operating Officer & Chief Economist at the MEI. The views reflected in this op-ed are his own.