Le prix Nobel, la croissance économique et les changements climatiques
Le prix Nobel d’économie ou, pour les puristes, le prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel, a été décerné cette année à Paul Romer de l’Université de New York et à William Nordhaus de Yale.
Il s’agit de deux figures très importantes de la recherche économique et, contrairement à certaines années, on peut faire le pari qu’on trouvera bien peu de gens pour prétendre qu’ils ne méritent pas cette distinction. Tous deux ont contribué à de nombreux champs d’études dans leur discipline, mais le comité a choisi de reconnaître leur contribution à l’étude de l’évolution macroéconomique sur le long terme – essentiellement l’étude de la croissance.
Son apport aux notions d’économie
Les économistes se souviennent de Romer pour (entre autres) la théorie de la croissance endogène, issue de deux articles scientifiques de 1986 et 1990, aujourd’hui enseignée dans presque tous les cours de macroéconomie. Avant cet apport, le modèle dominant en macroéconomie présentait la croissance économique comme le résultat du progrès technique, sans que celui-ci soit expliqué.
Il y avait de la croissance économique lorsqu’on empilait des briques, essentiellement, et que le progrès technique daignait montrer le bout du nez. Dans sa modélisation formelle de l’économie, Romer donne aux idées une place centrale, à travers le capital humain, c’est-à-dire principalement la recherche et l’éducation. Sa théorie est parfois utilisée pour justifier les subventions à la recherche et au développement.
Aujourd’hui, l’explication tient toujours et est toujours enseignée, bien que l’on explique de plus en plus la croissance par la qualité des règles formelles et informelles dans les économies. Romer lui-même reconnaît l’importance de ces avancées, puisqu’il est aujourd’hui l’un des plus éminents promoteurs du principe des «villes à charte» dans les pays en voie de développement. Ces nouvelles villes seraient des endroits libres d’adopter de nouvelles règles, différentes de celles du pays hôte, sous la tutelle d’un pays reconnu pour la qualité de ses règles. L’un de ces projets les plus médiatisés, qui a lieu au Honduras et où le Canada pourrait jouer un certain rôle de tuteur, peine toujours à décoller.
Ses recherches s’intéressent aux externalités négatives que pose le changement climatique sur la croissance économique, et vice versa. Son estimation de la quantité idéale d’émission de gaz à effet de serre est sensiblement plus élevée que, par exemple, celle du très radical rapport Stern, ou même des restrictions nécessaires pour limiter le réchauffement à 2,5 degrés Celsius, puisque l’on se priverait alors de la croissance économique nécessaire pour sauver une partie importante de la population mondiale de la pauvreté.
L’effet de serre se moque des frontières, et il serait facile pour un pays qui ne participerait pas de parasiter l’économie mondiale en attirant les investissements grâce à l’absence d’une telle taxe. Nordhaus est d’avis que des sanctions économiques contre les pays récalcitrants peuvent être suffisantes, même si elles sont relativement faibles, si une masse critique de pays favorable à la taxation du carbone est d’abord rassemblée.
On doit aussi à Nordhaus d’autres contributions, comme l’idée selon laquelle les politiciens manipulent l’économie, par leur politique fiscale, monétaire et autre, pour se faire réélire. En tentant de provoquer un boom économique, les politiciens peuvent créer les conditions encourageant leur réélection. Puisque certaines solutions peuvent stimuler l’économie dans le court terme, mais sont chères payées à plus long terme, comme la dépense publique déficitaire, les démocraties ont intérêt à ce que les leviers économiques importants soient dépolitisés.
Il y a une importante symbolique à ce que l’Académie royale des sciences de Suède ait récompensé conjointement un économiste reconnu pour son explication à propos de la façon dont les idées font croitre l’économie, et un économiste reconnu pour sa théorie à propos de la façon dont le réchauffement climatique menace de la faire décroître. On devrait tous, comme le font Romer et Nordhaus, à la fois encourager la croissance économique et la protéger des menaces environnementales… ou de celles issues de mauvaises politiques publiques!
Mathieu Bédard is Economist at the Montreal Economic Institute. The views reflected in this op-ed are his own.