Apuiat : un projet inutile qui coûte deux fois trop cher
En acceptant le poste de président-directeur général d’Hydro-Québec, Éric Martel aurait promis, selon Le Devoir, des gains de productivité dans les opérations de la société d’État. Il avait probablement cet engagement en tête lorsqu’il a signé une lettre adressée à plusieurs chefs innus le 6 août 2018 pour remettre en question l’opportunité de construire le parc éolien Apuiat.
On peut fort bien questionner, comme l’a fait M. Martel, la pertinence du projet Apuiat tout en acceptant que les communautés autochtones touchent leur juste part des bénéfices des ressources naturelles ou de l’énergie puisées sur leurs territoires historiques traditionnels. Est-il nécessaire de rappeler que cette reconnaissance date de la signature de la convention de la Baie James le 11 novembre 1975?
Les Cris et les Inuits du nord du Québec ont obtenu une large autonomie politique et administrative, des droits exclusifs de chasse, de pêche et de piégeage sur d’importants territoires ainsi que des compensations financières. En contrepartie, le gouvernement du Québec a obtenu le droit de développer les ressources hydrauliques, minérales et forestières du Nord. Les deux parties à l’entente en ont retiré de grands avantages.
Examinons maintenant le projet Apuiat sous le même angle. Contrairement à la situation au milieu des années 70, Hydro-Québec est aux prises avec d’importants surplus d’électricité. Même en tenant compte des exportations, environ 15 % de l’électricité produite ne trouve pas preneur, ce qui force la société d’État à évacuer l’eau de ses réservoirs en pure perte.
De plus, le parc éolien Apuiat vient avec une facture salée puisqu’il nécessite un investissement de 600 millions $ pour produire 200 MW. C’est deux fois plus cher que la centrale éolienne de Whitla Wind en Alberta de la société Capital Power qui générera 201,6 MW en contrepartie d’une facture de 320 millions $. Ce projet inutile se traduira par une hausse de la facture d’électricité de l’ensemble des consommateurs d’électricité de l’ordre de 1,5 à 2 milliards $ au cours des 25 prochaines années.
En retour de cette facture pharaonique pour tous les Québécois, Apuiat créerait une quinzaine d’emplois permanents sur le territoire innu, tout en assurant à cette nation une indemnité annuelle de 500 000 $ pendant 25 ans. Bien sûr, l’érection des éoliennes va créer 400 emplois temporaires qui seront vraisemblablement offerts en priorité aux membres de cette communauté. Il faut vraiment manquer d’imagination toutefois pour obtenir aussi peu de retombées économiques d’un investissement de 600 millions $.
À l’exception du risque de construction dont sont responsables les partenaires privés des Innus, Hydro-Québec assume tous les autres risques du projet. La communauté autochtone n’assume aucun risque dans cette aventure.
Le Québec aurait intérêt à s’inspirer de l’Alberta lorsqu’il s’agit de construire des infrastructures en territoire autochtone. Capital Power a dévoilé le 30 juillet 2018 une entente de partenariat avec la nation Siksika pour construire des centrales d’énergie renouvelable sur son territoire. Une fois que les deux partenaires se seront entendus sur un projet donné, celui-ci pourra être soumis à un éventuel appel de propositions compétitives de l’Alberta Utilities Commission. La construction de la centrale ne débutera pas tant et aussi longtemps que le projet n’aura pas été accepté par le régulateur albertain. Une fois construits, les deux partenaires se partageront les bénéfices ou les pertes d’exploitation de la centrale.
Voilà une structure de gouvernance susceptible de produire des projets à l’avantage de toutes les parties : producteurs, propriétaires du territoire et consommateurs.
Claude Garcia is Associate Researcher at the Montreal Economic Institute. The views reflected in this op-ed are his own.