La liberté de la presse est indissociable de la liberté économique
Le dernier rapport de Reporters sans frontières dresse un portrait sombre de l’état de la liberté de la presse à travers le monde. Cette liberté fondamentale est en recul dans plusieurs pays où les médias font l’objet de nombreuses attaques de la part des dirigeants politiques. Selon l’organisation, 65 journalistes ont perdu la vie en exerçant leur métier l’année dernière.
La liberté de la presse améliore la qualité de la démocratie en formant un « quatrième pouvoir » face à ceux de l’État. Elle permet par exemple de réduire la corruption en la dévoilant. Plusieurs facteurs favorisent son épanouissement, à commencer par la séparation des pouvoirs, l’appartenance à un système démocratique, ou encore la paix. Mais une autre liberté essentielle est bien trop souvent négligée pour expliquer le niveau de la liberté de la presse d’un pays : la liberté économique. Elle signifie la possibilité pour chacun d’entreprendre et d’échanger librement des biens et des services sur un marché concurrentiel.
Un marché des idées pour assurer le pluralisme
Bien qu’elle soit souvent décriée dans le débat public, la liberté économique est une condition indispensable pour assurer une authentique liberté de la presse.
Elle suppose l’existence d’un marché des idées qui soit libre. Cette notion a été théorisée par le lauréat du prix Nobel d’économie Ronald Coase qui considérait que les idées sont des biens comme les autres avec leurs producteurs et leurs consommateurs. Tant qu’il y a des consommateurs pour une opinion particulière, alors celle-ci sera représentée. Or, le libre marché permet la concurrence entre des acheteurs et des vendeurs d’information et d’idées, ce qui garantit le pluralisme. De manière plus générale, les libertés civiles et économiques sont interdépendantes : permettre à chacun de disposer de son revenu et de proposer ses services sur un marché favorise sa capacité à s’exprimer et à faire ses choix de manière indépendante.
Ce marché ne saurait être réglementé par l’État sous peine d’empiéter sur la liberté d’expression des opinions. L’un des premiers défenseurs de la liberté de la presse, le poète Milton, affirmait déjà dans une adresse au Parlement britannique en 1644 que « l’intelligence et la vérité ne sont pas des denrées propres au monopole ni dont on doive soumettre le commerce à des règlements particuliers ». Nul ne peut réglementer ce marché, car nulle autorité ne peut prétendre déterminer quelles opinions méritent d’être défendues par rapport à d’autres.
Deux libertés indissociables
Le degré de contrôle de l’État sur l’économie a nécessairement une incidence sur les conditions de travail de ceux qui produisent l’information. Dans une économie de marché, un ardent défenseur du socialisme aura toujours la possibilité de trouver des donateurs, des investisseurs, ainsi que des clients pour financer la diffusion de ses opinions. En revanche, dans une économie contrôlée par le gouvernement, un dissident politique aura plus de difficulté à exprimer son opinion en raison des autorisations bureaucratiques requises ou de la difficulté à trouver un financement indépendant. Autrement dit, un bon moyen de faire taire un journal, une station de télévision ou un site web est de le taxer ou de le réglementer étroitement.
La situation du Venezuela illustre parfaitement ce mécanisme. Hugo Chavez et Nicolas Maduro ont utilisé sans scrupule des restrictions économiques pour museler la presse d’opposition : en investissant massivement dans des médias d’État pour faire entendre la voix du pouvoir, en ne renouvelant pas la licence d’une chaîne de télévision d’opposition, ou encore en imposant des amendes tout en jouant sur les incitations économiques pour censurer les médias privés.
Cette relation étroite entre la liberté économique et la liberté de la presse est confirmée par plusieurs études basées sur l’analyse des indicateurs mesurant ces libertés. Une étude de l’universitaire Christian Bjørnskov (« The Hayek–Friedman hypothesis on the Press », Journal of Institutional Economics, à paraître) et une récente note de l’Institut économique de Montréal arrivent aux mêmes résultats : de manière générale, plus la liberté économique d’un pays est grande, plus la liberté de la presse y est importante. Les deux dimensions de la liberté économique qui favorisent le plus la liberté de la presse sont le système juridique de protection des droits de propriété et la liberté de commercer internationalement.
Favoriser la prospérité et la liberté de presse
Il est certain qu’un plus haut degré de liberté économique ne garantit pas à lui seul plus de liberté pour la presse. Cependant, la proposition selon laquelle un niveau minimum de liberté économique est une condition nécessaire pour assurer un minimum de liberté de la presse est clairement appuyée par les données : aucun des pays avec un haut niveau de liberté de la presse n’a un faible niveau de liberté économique.
Comme le soulignent régulièrement les rapports de Freedom House et ceux de Reporters sans frontières, la marge de manœuvre des gouvernements reste grande pour améliorer la liberté d’expression et l’indépendance des journalistes. Beaucoup de pays où des progrès importants pourraient être accomplis souffrent en outre d’un manque de liberté économique. Or, la libéralisation économique constitue justement une piste de réformes intéressante, car elle favorise la prospérité en même temps que la liberté de presse.
Kevin Brookes is a Public Policy Analyst at the Montreal Economic Institute. He is the coauthor of “Economic Freedom Promotes Freedom of the Press” and the views reflected in this op-ed are his own.