L’obésité réglementaire du Canada
Demain va commencer l’examen par la Cour suprême du Canada de la cause Comeau, à propos des barrières au commercial interprovincial. Cette affaire a le potentiel de complètement changer le visage du commerce au pays, actuellement divisé en enclaves – les provinces – entre lesquelles le commerce est compliqué. Ironiquement, alors que le Canada est considéré comme une figure de proue du libre-échange ailleurs dans le monde, le commerce intérieur n’y est pas libre.
Contrairement à la plupart des barrières entravant le commerce international, les barrières à l’intérieur de notre propre pays sont majoritairement de nature réglementaire. Dans le cas de la cause Comeau, qui concerne tout particulièrement le cas de l’alcool, ces barrières consistent en des quotas mis en place pour protéger les monopoles publics provinciaux et assortis d’amendes pour les faire respecter.
Ce n’est pas le seul type de barrière. Certains produits sont frappés d’interdiction pure et simple, comme c’est le cas pour le fromage au lait cru du Québec. Dans la majorité des cas, cependant, les barrières sont le résultat de normes différentes d’une province à l’autre, qui compliquent le commerce en forçant les entreprises à s’adapter aux règles locales.
Des règlements qui coûtent cher
Et la réglementation, au Canada, on en a beaucoup. Une étude publiée par Statistique Canada montre que les échanges commerciaux observés entre les provinces correspondent à un niveau auquel on se serait attendu si un équivalent tarifaire de 6,9 % était imposé au commerce interprovincial. Selon une étude de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, il serait possible de réduire la réglementation canadienne de près du tierssans nuire aux objectifs.
Bien entendu, certains règlements comportent aussi des bénéfices pour l’ensemble de la société. Pour ne donner qu’un exemple, ceux qui obligent les entreprises à divulguer l’information nécessaire pour que les consommateurs puissent faire des choix éclairés, comme les ingrédients entrant dans la confection des aliments.
Mais le fait que cela soit bénéfique ne réduit pas pour autant les coûts pour les entreprises. D’ailleurs, si on compare les coûts du fardeau réglementaire avec ceux chez nos voisins, nous faisons aussi bien piètre figure. Le coût total de la réglementation était évalué à un peu plus de 37 milliards $ au Canada en 2015, contre 205 milliards $ aux États-Unis, ce qui représente un coût moyen par employé bien moins élevé qu’au Canada.
Un secteur où la réglementation fait particulièrement mal au Canada, comme le rappelait récemment mon collègue Germain Belzile dans un Cahier de recherche sur le sujet, est celui du pétrole et du gaz. C’est un secteur important pour l’économie canadienne et pour qui la compétitivité réglementaire est particulièrement importante pour attirer des investissements. Si notre réglementation n’est pas assez accueillante, les investisseurs préféreront investir au sud de notre frontière.
Or, le gouvernement du Canada a récemment annoncé une révision des processus réglementaire et environnemental, afin de revoir entre autres le mandat de l’Office national de l’énergie (ONE) et les évaluations environnementales. Ces modifications pourraient par exemple obliger l’ONE à tenir compte non seulement des émissions de GES d’un projet de pipeline, mais aussi des émissions en amont et en aval des hydrocarbures transportés, ou encore ajouter un nouvel organisme réglementaire qui évaluerait spécifiquement les projets de pipeline.
Tout cela augmente l’incertitude des investisseurs. Déjà, en ce moment, les délais d’approbation sont longs et le processus n’est pas très efficace. Encore une fois, la comparaison avec les États-Unis fait mal : les coûts moyens pour l’ensemble du processus d’approbation des grands projets en Alberta dépassent les deux millions $, un chiffre supérieur à celui, par exemple, du Dakota du Nord.
Qu’il soit question de commerce interprovincial ou de compétitivité dans des secteurs très importants pour le Canada, notre obésité réglementaire nous fait mal. Ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas de règles, mais bien qu’il faut être conscient des coûts engendrés lorsque vient le temps de réviser les règlements en vigueur ou d’en mettre en place de nouveaux.
Mathieu Bédard is Economist at the Montreal Economic Institute. The views reflected in this op-ed are his own.