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Journalistes : vérifiez vos prémisses

Un article publié ce mercredi dans un quotidien montréalais avait pour titre : « Près de 1 milliard de cadeaux par Québec aux contribuables ». L’article, de Denis Lessard, nous explique que le gouvernement Couillard se prépare à annoncer une baisse générale de l’impôt des particuliers, soit un allègement de près de 1 milliard $ à même les surplus de 2 milliards $ dégagés après trois ans d’« austérité budgétaire » (sic).

Soyons clairs : Denis Lessard est un excellent journaliste. Il possède un très bon réseau de contacts, publie régulièrement des textes exclusifs et ce n’est probablement pas lui qui a choisi le titre de son article. Reste que l’utilisation du mot « cadeau » démontre que certains journalistes, chroniqueurs, ou encore chefs de pupitre n’ont pas toujours le temps de réfléchir aux prémisses fondamentales sur lesquelles reposent leurs écrits.

Dans ce cas-ci, l’article tient pour acquis que les ressources appartiennent au départ et de plein droit à l’État. En effet, les baisses d’impôts y sont explicitement désignées comme étant un « cadeau », donc quelque chose auquel le citoyen-contribuable n’a pas droit a priori – alors qu’il s’agit en fait de son propre argent, qu’il a lui-même gagné et que l’État lui a soutiré. De même, selon cet article, c’est l’État qui « injecte » de l’argent (sous-entendu SON argent) en direction des contribuables.

Bien sûr, l’utilisation de l’expression « cadeau » n’est probablement pas étrangère au fait que nous approchons la période de Noël. Après tout, les journalistes se doivent d’avoir le sens de la formule. Mais un tel choix de mots, ou des clichés pourtant lourds de sens apparaissent de façon régulière dans nos médias.

Le côté pernicieux de cette « dérive des prémisses » est que les lecteurs, même les plus instruits, finissent par ne plus dénoter leur présence. Le travail d’éducation des économistes, entre autres, devient ainsi plus ardu.

« Dépense » ou « investissement »?

Un autre exemple d’un certain manque de rigueur linguistique est le remplacement systématique du mot « dépense » par le mot « investissement », surtout quand les partisans des dépenses infinies de l’État s’expriment. Mon collègue Germain Belzile a rédigé un billet spécifiquement sur ce thème.

Ou encore, comme je l’écrivais il y a quelque temps, ceux qui se prononcent sur les inégalités de revenus ont la manie d’utiliser des mots chargés idéologiquement, par exemple en disant que les riches « accaparent » ou « contrôlent » une partie de la richesse, ce qui laisse entendre que les riches le seraient simplement parce qu’ils sont capables de mettre leurs grosses pattes sur une tarte mondiale qui serait apparue là, comme par hasard.

C’est sans parler de l’utilisation abusive et inappropriée du mot « austérité » depuis quelques années déjà au Québec. Dans les faits, les dépenses de l’État québécois ne cessent de croître, et ce même lorsqu’on tient compte de l’inflation.

Le déclin d’une langue est dû, en dernière analyse, à des causes politiques et économiques, en tout cas au moins en partie. Il ne peut être la faute de la seule mauvaise influence de tel ou tel individu, disait l’écrivain George Orwell. Quand les journalistes, chroniqueurs, politiciens et autres personnages publics ne vérifient pas leurs prémisses, ou usent de clichés sans réfléchir à leur sens réel, ils donnent raison à Orwell.

Michel Kelly-Gagnon is President and CEO of the Montreal Economic Institute. The views reflected in this op-ed are his own.

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