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Demander la permission pour innover, ou comment tuer la révolution Internet

Dans un article du 28 mai dernier, Florian Martin-Bariteau défend l'idée que le Commissaire à la protection de la vie privée devrait avoir des pouvoirs étendus ainsi que la possibilité de sanctionner les entreprises par des amendes qui représenteraient des sommes importantes. Il va même jusqu'à proposer un service où les entrepreneurs d'Internet s'adresseraient aux fonctionnaires d'Ottawa avant de publier leurs contenus, pour vérifier qu'ils satisfont les règles de respect de la vie privée. Sans exagérer les effets de ce genre de politique publique, ces propositions ont le potentiel de faire dérailler la révolution Internet, ou à tout le moins d'encourager des entreprises à déménager au sud de notre frontière, là où les pouvoirs publics seraient plus accueillants.

Le problème fondamental avec le fait de faire d'une agence gouvernementale le garant de notre vie privée, c'est que son périmètre échappe à toute définition universelle et varie énormément d'une personne à l'autre. Par exemple, plusieurs personnes n'acceptent de partager leur information médicale qu'avec leur médecin et leur famille rapprochée, tandis que d'autres vont à la télévision pour parler de leur maladie et ainsi aider les gens dans la même situation qu'eux. Le respect de la vie privée doit donc être envisagé non pas comme un niveau absolu et uniforme de secret, comme le conçoit M. Bariteau lorsqu'il parle des atteintes potentielles à « nos droits », mais bien comme un niveau de contrôle par l'individu des informations qui le concernent.

Et c'est justement la direction vers laquelle évoluent les choses, indépendamment des régulateurs nationaux. Tous les géants de l'Internet, Google, Facebook, Apple et autres, font évoluer leur gestion de la vie privée vers des systèmes de plus en plus granulaires (c'est-à-dire qui se composent de plusieurs petits réglages) avec chaque mise à jour. Alors qu'il n'y a que quelques années, ils n'offraient que quelques réglages pour gérer votre vie privée sur votre téléphone intelligent ou sur votre profil de réseau social, les dernières versions permettent de régler vos préférences pour chaque application de façon séparée. Les entreprises l'ont fait progressivement, sans menaces de la part du régulateur, parce que c'est ce qui leur amène plus d'utilisateurs.

Les exemples que Florian Martin-Bariteau amène pour justifier l'octroi de pouvoirs plus large à l'État canadien sont peu convaincants. Il est vrai que les autorités européennes sont dotées de pouvoirs musclés, mais ceci explique probablement pourquoi Silicon Valley se trouve aux États-Unis, et pas en banlieue de Paris ou Milan. Le système légal américain, lui, s'appuie très fortement sur les sanctions des utilisateurs. L'État, à travers la NSA, y a plutôt été une source de violations de la vie privée qu'une solution. Il donne enfin la loi canadienne antipourriel en exemple pour ce qui est des amendes dissuasives, mais les autorités canadiennes ne l'ont jusqu'ici appliquée qu'avec parcimonie, puisqu'elles-mêmes reconnaissent le danger.

On oublie souvent à quel point Internet a modifié profondément notre économie. Au Québec, 87 % des microentreprises utilisent Internet à des fins professionnelles. Une entreprise d'une seule personne peut exporter partout dans le monde avec des moyens logistiques de mise en marché, d'expédition et de suivi des livraisons comparables à ce que les grandes multinationales offrent. Internet les a mises sur un pied d'égalité! Des contraintes réglementaires, en apparence bénigne, pourraient avoir des effets pervers importants sur cet écosystème et sur la capacité des entreprises à innover.

Typiquement, une application est conçue en après-midi et mise en ligne dans la soirée. Demander, comme le fait Florian Martin-Bariteau, aux innovateurs d'Internet d'aller remplir un formulaire et attendre que des fonctionnaires se questionnent à savoir si leur application respecte des principes uniformes, sans regard pour les choix individuels des Canadiens, relève d'une incompréhension profonde de l'économie d'Internet.

Alors que plusieurs entreprises s'apprêtent à investir à Montréal dans l'intelligence artificielle, il serait dommage d'adopter une réglementation de la vie privée poussant ces entreprises vers des villes américaines qui sont probablement déjà en train de les courtiser.

Mathieu Bédard is Economist at the Montreal Economic Institute. The views reflected in this op-ed are his own.

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