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Monsieur Christie, Donald Trump et un cul-de-sac

Monsieur Christie ne fera plus de bons biscuits dans l’est de Montréal. L’usine Mondelez fermera ses portes à la fin 2017.

Les employés de l’usine vivent un drame professionnel et personnel. Derrière l’aspect profondément humain de ce genre d’annonce se cachent trois grandes leçons pour nos politiciens.

1)      Le marché du travail est en constante évolution

Les nouvelles sont ainsi faites qu’on parlera toujours davantage de 454 postes perdus que de ceux qui sont créés un peu partout. Une fermeture touchant des centaines d’employés sera toujours plus visible que des dizaines d’embauches ou de petits investissements dans une myriade d’autres usines ou d’autres industries. Aucun article ce matin sur les 31 emplois et stages à combler chez Cascades, illustration de ce parti pris médiatique.

En parallèle à l’annonce de Mondelez, le hasard a fait que les plus récentes données sur la population active ont été publiées aujourd’hui par Statistique Canada. On apprend ainsi que le taux de chômage du Québec n’était que de 6,2 % en novembre. L’Institut de la statistique du Québec mentionne qu’avec la création de 8500 emplois, le marché du travail « varie peu ».

À l’échelle de l’économie entière, 8500 emplois créés en un mois représentent une variation minime. La perte de 454 emplois durant la prochaine année, aussi dramatique soit-elle pour les gens qui la vivent, a un impact somme toute local.

2)      Le libre-échange n’est pas le coupable

La production de l’usine sera déplacée vers Toronto et Portland, aux États-Unis. Pas vers la Chine ou le Mexique, mais vers d’autres villes nord-américaines. Parions toutefois que Donald Trump, le président désigné, ne soulignera pas ces gains! Lui aussi est influencé par un certain parti pris médiatique expliqué plus haut.

Lors des élections du 4 novembre, Trump a gagné des États clés grâce à l’appui électoral de nombreux travailleurs désabusés par le libre-échange et les délocalisations. Ayant fait campagne notamment contre l’ALÉNA qui réunit le Canada, les États-Unis et le Mexique, Donald Trump blâme ces « mauvaises ententes » pour les pertes d’emplois chez nos voisins du sud. Il n’est pas seul dans son camp d’ailleurs, puisque Québec Solidaire lui emboîte le pas ! Pourtant, à bien y regarder, il n’en est rien.

L’ALENA a fait croître le commerce du Canada avec les États-Unis et le Mexique de 11 % plus que ce qui serait survenu sans cet accord. Les échanges des États-Unis avec ses deux partenaires a bondi de 41 % de plus grâce à l’ALÉNA. C’est au Mexique que l’effet fut le plus positif, l’entente de libre-échange ayant fait bondir les échanges commerciaux avec les deux autres pays par plus de 118 %. Cela explique en grande partie pourquoi il y a un si fort consensus parmi les économistes à l’effet que le libre-échange, bien qu’il crée certains perdants à court terme, est immensément positif.

Est-ce que le cas de l’usine de Monsieur Christie se trouve parmi ces quelques cas d’exception? La réponse est non.

Plutôt que de déménager sa production montréalaise vers Toronto et Portland, Mondelez aurait pu aussi choisir d’investir dans son usine de la rue Viau pour moderniser ses installations. Or, le fardeau fiscal montréalais est particulièrement défavorable aux nouveaux investissements, comme l’illustrait mon collègue Mathieu Bédard dans une publication de l’IEDM l’an dernier. Le taux effectif marginal d’imposition des nouveaux investissements s’élevait à 75,6 %, contre 58,7 % à Toronto, principalement en raison des taxes foncières locales.

Tiens, un autre hasard! La Ville de Montréal dévoilait cette semaine son budget et les hausses de taxes pour 2017!

3)      Le gouvernement peut agir, mais pas tant que ça

Chaque fois qu’une mauvaise nouvelle surgit, plusieurs ont le réflexe de se tourner vers le gouvernement et de réclamer des actions concrètes. Or, ce que le gouvernement peut faire est plutôt limité. La ministre Anglade se montre pessimiste avec raison. Rappelons toutefois que le gouvernement en fait déjà beaucoup.

Tous les niveaux de gouvernement, dont la Ville de Montréal, peuvent se préoccuper de leur fiscalité, de la réglementation, des taxes sur la masse salariale (vous savez, toutes ces retenues à la source sur les chèques de paie!), etc. C’est déjà une préoccupation. Il ne manque peut-être qu’un peu de courage politique pour enfin réduire notre fardeau fiscal qui nuit à la vitalité économique de notre société.

Le danger, c’est de miser sur un régime d’exception par lequel on fournit des avantages aux entreprises qui font un peu de chantage, ou qui sont bien connectées politiquement. Donald Trump, présentement dans une « tournée de la victoire », avertit que désormais, délocaliser des emplois sera très difficile et que les entreprises qui le feront en souffriront les conséquences. Cette annonce d’une usine de climatiseur Carrier, en Indiana, souligne que Trump y aurait « sauvé » des centaines d’emplois. Ce sont en fait des subventions et exemptions d’impôts que la compagnie a réussi à obtenir en échange du maintien de son usine.

La ministre Dominique Anglade mise sur sa stratégie de l’innovation qui prévoit 700 millions de dollars pour moderniser l’industrie manufacturière. La recette n’est pas fondamentalement différente. Le danger des régimes particuliers est qu’ils sont nettement moins efficaces qu’un régime fiscal neutre et bienveillant pour tous les projets.

L’autre outil dont dispose le gouvernement, c’est l’éducation. Tant dans le système d’éducation québécois que par Emploi Québec, des formations continues et des formations courtes sont offertes pour ceux qui veulent trouver de bons emplois. On peut toujours penser aux moyens d’améliorer cet outil, mais il est déjà en place pour l’essentiel.

Un autre outil intéressant, et qui m’est inspiré par la FTQ, consisterait à produire des données pertinentes sur les fermetures d’entreprises. Déjà à l’heure actuelle, les normes du travail exigent qu’un employeur soumette un formulaire lorsqu’il procède à un licenciement collectif. Le formulaire est très court, et c’est tant mieux. Ensuite, un comité de reclassement est mis sur pied. Il serait possible qu’Emploi Québec soit chargé de compiler quelques données importantes en partenariat avec ce comité de reclassement. Combien d’employés ont pris leur retraite dans les 12 mois du licenciement? Combien ont suivi une formation? Combien ne se sont toujours pas replacés?

Cette mission de produire une information de première main, objective et pertinente, me semble une piste très porteuse. Pas besoin de projet de loi ni de nouveau budget, juste une décision tout ce qu’il y a de plus simple.

Youri Chassin is Economist and Research Director at the Montreal Economic Institute. The views reflected in this op-ed are his own.

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