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Op-eds

Le rêve brisé d’exploiter un camion-restaurant

En quête de liberté, un de mes bons amis songe à changer de carrière. Après avoir travaillé durant des années dans un bureau comme comptable, il souhaite maintenant se lancer en affaires. Sa nouvelle ambition? Acheter un camion-restaurant et offrir aux clients des poutines au porc, des burgers aux foies gras et autres plats savoureux. Le camion du Pied de cochon n'a qu'à bien se tenir, la concurrence arrive!

La Ville de Montréal a récemment autorisé l'industrie des camions de rues à se développer, après des décennies d'interdiction pure et simple. Mon ami entend sauter sur l'occasion. Pour lui, ça semble être un travail honnête, où il aura la liberté de gérer sa business comme il le souhaite. Il pourra aussi déplacer son camion à sa guise pour aller à la rencontre des clients. C'est bien le rêve d'un entrepreneur épris de liberté, non?

Non.

Cette industrie est malheureusement soumise à une lourde réglementation qui décourage l'entrepreneuriat local. D'abord il n'y a que 30 sites à Montréal où les camions sont autorisés, dans seulement 7 des 19 arrondissements de la ville. Si tu habites ou travailles dans le Sud-Ouest, ça va, tu peux « food-trucker ». Par contre, pas de chance pour ceux dans Villeray, Anjou ou Outremont par exemple…

Pour se lancer en affaires, mon ami devra acquérir un permis d'exploitation et seulement 41 permis ont été délivrés cette année, alors que 57 pourraient l'être pour combler les emplacements disponibles. À mon avis, le fait que tous les permis ne soient pas utilisés est une preuve que la réglementation étouffe l'entrepreneuriat et empêche cette industrie de vraiment prendre son envol.

Pour obtenir ledit permis, mon ami doit soumettre une demande et un plan d'affaires à un comité de cinq personnes mandaté par la ville. Un genre de comité de sages dont trois sont liés à l'industrie de la restauration. Ce comité évalue la viabilité des projets. Imaginez, ce sont des restaurateurs qui décident qui va pouvoir opérer un camion-restaurant et quel genre de cuisine ceux-ci pourront offrir! Je peux vous dire déjà que ces « sages » sont assez sages pour bien défendre leurs propres intérêts et ne pas permettre trop de concurrence.

Chacun des 30 sites peut être occupé par un maximum de trois exploitants en même temps. Et ceux-ci n'ont d'ailleurs pas le droit de faire commerce ailleurs que dans les sites désignés. Autre détail important, et qui est certainement dans mon esprit le règlement le plus contraignant: on ne donnera pas de permis à mon ami s'il n'est pas déjà propriétaire d'un restaurant qui a pignon sur rue! Imaginez, seuls les restaurateurs traditionnels actuels peuvent aspirer à devenir des restaurateurs ambulants. Il s'agit là non seulement d'une réglementation « uberrienne », mais d'une injustice.

Enfin, pour un restaurateur qui ne serait pas encore découragé, sachez que le prix du permis annuel s'élèvera à 2 075$ – ou à 1 215$ pour un permis saisonnier – en plus de tous les autres coûts associés au respect de la réglementation, les assurances, etc.

Ouch! On a vraiment mis en place un système qui incite mon ami à se lancer en affaires.

En fait, le lourd fardeau réglementaire à Montréal est très semblable à celui qu'impose la ville de Chicago. Essentiellement, les deux villes ont adopté des règlements restreignant la cuisine de rue afin de ne pas, soi-disant, troubler les propriétaires de restaurants conventionnels. Comme c'est souvent le cas avec une réglementation excessive comme celle-ci, elle affecte de manière disproportionnée les plus pauvres et les travailleurs moins formés.

À Chicago comme à Montréal, les avantages d'alléger la réglementation seraient nombreux. Selon un rapport, la suppression des règlements contraignants à Chicago pourrait entraîner la création de plus de 6 000 emplois. À Montréal, en suivant la même approche méthodologique et en tenant compte de la population des deux villes, on parle de la création potentielle de 2 000 emplois, qui pourrait générer des ventes de plus de 12 millions et des recettes fiscales pour l'administration allant jusqu'à 2,5 millions.

Les élus montréalais auraient tout intérêt à ne pas décourager les entrepreneurs en herbe comme mon ami. Ce serait payant pour tout le monde!

Pourtant, les solutions pour améliorer la situation sont simples: imposer un seul permis à forfait d'un montant raisonnable, des normes de santé de base et des inspections régulières au lieu des restrictions excessives actuellement en vigueur. Permettre aussi au non-propriétaire de restaurant de pouvoir se lancer en affaires et devenir propriétaire d'un camion de rue.

Vous savez la bouffe de rue n'est pas la seule à subir les excès des bureaucrates. Les restaurateurs montréalais, entre autres, gagneraient aussi à être moins étouffés par les taxes et la réglementation. Selon une étude de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante sur la réglementation des activités commerciales, qui compare l'ouverture d'un restaurant dans différentes villes du Québec, Montréal se classe au 74e rang sur 100 pour ce qui est de la facilité du commerce. Cette performance médiocre s'explique en grande partie par la lourdeur du fardeau réglementaire et fiscal.

Il est souhaitable que Montréal devienne plus favorable à l'entrepreneuriat. Ça permettrait à mon ami, comme à plusieurs autres entrepreneurs en herbe, de lancer leur entreprise et qui sait peut-être devenir propriétaire d'un camion-restaurant et offrir de bons burgers savoureux aux amateurs comme moi.

Jasmin Guénette is Vice President of the Montreal Economic Institute. The views reflected in this op-ed are his own.

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