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Thomas Piketty et l’illusion des inégalités

Dans son ouvrage controversé devenu best-seller mondial, Le capital au XXIe siècle, l’économiste français Thomas Piketty dénonce, données statistiques à l’appui, l’augmentation des inégalités. Pourtant, les chiffres qu’il présente ne mènent pas nécessairement à cette conclusion.

Piketty se focalise sur l’évolution de la distribution des revenus dans la population au cours du temps, ce qui permet par exemple d’étudier la part du revenu total que gagne le premier centile de la population. Seul problème : le « 1 % » n’est pas constitué des mêmes personnes d’une année à l’autre et les revenus de ces personnes ne sont maintenant pas aussi stables que ceux du salarié moyen.

Steve Jobs, par exemple. Lorsqu’il était p.-d.g d’Apple, son salaire annuel était de seulement… 1 dollar. En parallèle, il recevait des actions et des options sur titres, ce qui lui a procuré par la suite un revenu. Or les dirigeants ne peuvent revendre leurs actions et leurs options sur titres avant un certain délai (souvent trois ans). Alors même que cela constitue dorénavant l’essentiel de leur rémunération, ils ne réalisent donc aucun revenu sur ces titres avant plusieurs années.

Par conséquent, les revenus qu’ils tirent de la vente de ces titres vont être concentrés sur une période relativement courte. À ce moment, les dirigeants vont faire exploser les statistiques d’inégalités, mais c’est la simple contrepartie du fait que leur revenu s’est enfin ajusté à la hausse après plusieurs années de vaches (relativement) maigres.

Cela pourrait-il en partie expliquer la hausse des inégalités ? Si ce décalage temporel entre l’octroi d’une rémunération et la réalisation du revenu associé avait toujours existé, il ne contribuerait pas à l’évolution des inégalités. Or ce décalage est un phénomène récent, découlant de la rémunération sous forme d’actions et d’options sur titres.

L’économiste américaine Carola Frydman a montré ainsi que dans les années 1950 et 1960, les dirigeants étaient essentiellement rémunérés avec un salaire fixe et une prime, elle aussi relativement fixe, lesquels représentaient environ 90 % de leurs émoluments. Par ailleurs, les rémunérations des p.-d.g étaient remarquablement stables à cette époque, et variaient peu d’une année à l’autre.

Les années 1980 et 1990 ont toutefois marqué une révolution en matière de rémunération des dirigeants. Les options sur titres en sont venues à en constituer l’essentiel. Dans les années 2000, le salaire et la prime ne représentaient plus que 40 % de leur rémunération, le reste étant surtout constitué d’actions et d’options sur titres.

Bien entendu, le revenu que procurent ces titres dépend de la performance boursière de l’entreprise et est donc très variable. Par ailleurs, l’octroi d’actions et d’options sur titres varient d’une année à l’autre (le salaire étant au contraire assez stable), ce qui amplifie encore plus la variabilité du revenu des dirigeants au fil du temps.

De même, les employés de start-up qui sont payés en pizzas et en options sur titres ont des revenus plutôt faibles pendant de nombreuses années, jusqu’à ce qu’ils vendent leurs options sur titres et deviennent parfois millionnaires. Là encore, ils contribuent fortement, lors de cette année, à l’inégalité statistique, même si leur revenu moyen considéré sur une longue période n’est pas si différent d’un revenu normal.

De même, les athlètes de haut niveau sont aujourd’hui plus payés que par le passé, mais gardons à l’esprit qu’ils ne gagnent un revenu élevé que durant leur jeunesse, avec par la suite des reconversions plus ou moins heureuses… Leur revenu total au cours d’une vie n’est pas si élevé ; mais durant leur jeunesse, ils contribuent fortement à l’inégalité « statistique ».

En somme, la croissance des inégalités dénoncée par Piketty pourrait simplement refléter le fait que les revenus sont plus variables d’une année à l’autre, surtout pour les revenus élevés, et non l’augmentation des écarts de revenus entre individus.

Pierre Chaigneau is an Associate Researcher at the Montreal Economic Institute. The views reflected in this op-ed are his own.

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