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Un portrait plus nuancé des inégalités

Le débat sur les inégalités lancé il y a deux ans par le mouvement « Occupy Wall Street » semble connaître un regain d’intérêt. Ces derniers mois, les essais et les interventions médiatiques sur le sujet se sont multipliés. Le débat reste toutefois focalisé sur les inégalités de revenu, qui semblent avoir connu une croissance marquée depuis les années 1970 à travers le monde industrialisé, et notamment aux États-Unis.

Pourtant, il existe d’autres façons de mesurer les inégalités qu’en comparant simplement les niveaux de revenus, et ces autres types d’inégalités n’évoluent pas de la même façon. Lorsqu’on pousse l’analyse un peu plus loin, on constate qu’en fait, notre société est peut-être moins inégale qu’on pourrait le croire et le devient de moins en moins parce que ces autres formes d’inégalités ne croissent pas ou diminuent.

Les inégalités de revenus surestiment le problème

Le revenu est une mauvaise mesure des inégalités puisqu’il est très variable tout au long de la vie d’un individu et ne correspond pas nécessairement au niveau de bien-être. Comparer ce que les gens consomment est une façon bien plus appropriée de mesurer les inégalités de bien-être réel.

Les individus ont tendance à garder leur consommation plus constante à long terme que leurs revenus. Par exemple, une personne retraitée peut avoir un revenu faible parce qu’elle ne travaille plus, mais elle réussit tout de même à soutenir un niveau de consommation élevé grâce à son épargne et aux dépenses importantes – telle une maison – qu’elle n’a plus besoin d’assumer.

À l’inverse, un étudiant, même avec un très faible revenu, aura plus souvent qu’autrement un niveau de consommation  plus élevé que son revenu ne le justifierait puisqu’il a choisi d’emprunter pour financer sa consommation et pour investir dans une formation qui lui permettra de décrocher un emploi bien rémunéré dans l’avenir.  On peut ainsi voir comment la consommation constitue une meilleure illustration du niveau de vie que le revenu.

Selon les économistes Bruce Meyer et James X. Sullivan, entre 1980 et 2011, les inégalités de revenus aux États-Unis ont augmenté de 45 % alors que les inégalités de consommation n’ont augmenté que de 19 %. Selon d’autres chercheurs, les inégalités de consommation n’auraient pas augmenté significativement depuis 1984.

Les inégalités de satisfaction à l’égard de la vie diminuent

On peut utiliser une notion plus subjective mais peut-être plus pertinente, celle de la satisfaction à l’égard de la vie, pour mesurer les inégalités.

Au fur et à mesure que les sociétés deviennent plus riches, les individus ont de plus en plus de possibilités de se spécialiser et de plus en plus de façons à leur disposition d’atteindre le bonheur. Une société riche permet à ses membres de satisfaire aisément leurs besoins essentiels et, par la suite, d’assouvir leurs désirs de réalisation personnelle par des moyens qui n’ont pas nécessairement de lien direct avec leur revenu, ni avec leur niveau de consommation brute. Le bonheur, en effet, ne s’achète pas à coups de millions.

Par exemple, suivre des cours de yoga, développer son talent d’aquarelliste, ou faire partie d’une communauté virtuelle de gens qui partagent une passion pour les traditions chevaleresques du Moyen Âge, sont tous des activités qui ne coûtent pas nécessairement très cher mais peuvent procurer une intense satisfaction.

Lorsqu’on regarde les données sur la satisfaction à l’égard de la vie, on ne se surprendra pas qu’en même temps que les inégalités de revenu ont augmenté, les inégalités de bonheur ont, elles, diminué. C’est ce que nous apprend une étude du prestigieux National Bureau of Economic Research.

Les inégalités les plus déplorables diminuent

En analysant le phénomène des inégalités, il faut enfin considérer l’effet des choix personnels.  Certains individus choisissent de travailler de longues heures et d’étudier de longues années pour s’assurer des revenus élevés. D’autres se fixent une cible de revenu pour répondre à leurs besoins et, dès qu’ils l’ont atteinte, préfèrent utiliser leurs temps libres à d’autres activités.

Les inégalités de revenus résultant de ces choix n’ont rien d’illégitime et il faudrait activement décourager l’effort individuel pour les réduire. On peut cependant considérer les inégalités résultant de facteurs hérités à la naissance ou d’autres facteurs sur lesquels les individus n’ont eu aucun choix comme des sortes d’inégalités clairement mauvaises.

Justement, depuis 1968, l’importance des mauvaises sortes d’inégalités a diminué aux États-Unis. Alors que 33 % de toutes les inégalités en 1968 étaient explicables par des facteurs hérités à la naissance, cette proportion n’était plus que de 18,6 % en 2001.

Bref, certaines formes d’inégalités, sans doute les plus importantes du point de vue de l’épanouissement personnel, ont tendance à stagner ou à diminuer. D’autre sont le résultat de choix individuels légitimes. Il est peut-être temps de le l’admettre afin de mieux comprendre comment s’attaquer aux inégalités qui sont véritablement déplorables.

Michel Kelly-Gagnon is President and CEO of the Montreal Economic Institute. The views reflected in this column are his own.

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