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Le futile orgueil des «vrais» journalistes

Je pensais qu’en 2010, la perception des blogueurs comme étant des sources «pas fiables», qui font un travail inférieur aux «vrais» journalistes, était chose du passé. Il semble que non.

Les jeunes libéraux, pour un motif qui m’échappe, proposent que le gouvernement – via la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) – crée un titre de «journaliste professionnel». Celui-ci devrait respecter un code de déontologie qui, sans surprise, serait une nouvelle façon de marginaliser les blogueurs. Car, c’est bien connu, il faut se méfier du contenu des blogues et autres créatures d’Internet. Après tout, ce ne sont pas de «vrais» journalistes qui y écrivent…

Question: pourquoi ne suggère-t-on jamais aux gens de se méfier de ce qu’on lit dans les journaux traditionnels? Car s’il y a désinformation, c’est bien là qu’elle se trouve.

Prenez mon champ d’expertise, l’économie. Depuis deux ans, les blogueurs et autres sources disponibles gratuitement sur le web ont fait mille fois mieux que nos médias traditionnels pour expliquer, décortiquer, analyser l’évolution de l’économie et les différentes mesures lancées par les gouvernements, et prédire ce qui nous attend.

Le lecteur de la section économie du journal de votre choix, lui, a généralement été mal servi depuis le début de la crise. Pour la simple raison que les médias traditionnels sont conditionnés par la pensée commune. Et la pensée commune en économie, c’est le keynésianisme – cette idée selon laquelle les récessions ont toutes la même cause et le même remède : le gouvernement n’a qu’à dépenser sans compter et tout va rentrer dans l’ordre, comme par magie.

Résultat: le lecteur y perd le nord. «L’immobilier aux États-Unis chute. Mais il ne faut pas s’inquiéter.» «C’est un problème mineur. Tout va bien.» «Oups! Nous avons une crise du crédit…» «Non, plutôt une crise de liquidités! Mais pas de récession.» «Non, c’est une récession! Même une dépression!» «Fini la récession. Nous aurons une belle reprise en “V”!» Maintenant on ne sait plus… sommes-nous dans une faible reprise… ou sur le bord d’une dépression? Allez savoir!

Certains diront: «le problème, c’est les économistes qui se trompent souvent». Justement! Trop souvent les journalistes professionnels ne font que répéter les communiqués de presse du gouvernement et de la Banque du Canada, ou citent les économistes et les courtiers des grandes banques, qui ont rarement intérêt à dire que ça va mal. Ces journalistes – et j’en connais plusieurs – sont pourtant brillants. Mais peu osent s’aventurer hors de sentiers battus et exercer leur esprit critique.

Pendant ce temps sur le web, on trouvait une quantité d’experts – allant de prix Nobel d’économie, professeurs, à experts de la finance – pour nous expliquer, dans un langage simple, qu’une des raisons de cette crise était le problème de crédit et d’endettement des ménages. Que la transition vers une reprise économique solide prendra probablement de 5 à 10 ans, le temps de permettre aux citoyens de se désendetter. Et que, pendant cette transition, le marché vivra des hauts et des bas.

C’est un point de vue parmi d’autres. Mais un point de vue qui commence à peine – deux ans trop tard – à paraître dans les médias traditionnels, trop conditionnés par la pensée commune.

À leur défense, les journalistes traditionnels peuvent difficilement rivaliser avec ce qu’on peut trouver sur le web. Si, en cherchant à comprendre un aspect de la crise économique, vous avez le choix entre lire un chroniqueur de La Presse ou du Devoir, titulaire d’un bacc en communication, ou aller lire l’opinion de quatre gagnants de prix Nobel en économie – qui tiennent un blogue gratuit, écrit de manière simple et accessible –, qui allez-vous choisir?

Bien sûr, on trouve des vendeurs d’opinions sur le web. Mais on en trouve aussi dans les journaux traditionnels, prisonniers des revenus publicitaires des grandes entreprises. Il suffit d’être vigilant. Et franchement, ce n’est pas très dur. Le web est affaire de réputation. Et la réputation se bâtit sur la confiance. Vous dites une connerie, vous vous faites ramasser par un commentateur aux aguets. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, les pseudo-experts ne font pas long feu dans le «Far Web». À tout le moins, ils sont facilement repérables.

Internet démocratise l’information. C’est la meilleure chose qui puisse arriver aux citoyens avides d’information et surtout, qui veulent qu’on voie au travers de la bullshit pour leur livrer quelque chose qui s’approche de la vérité. L’ère des chroniqueurs payés 90 000 $ par année pour vulgariser des communiqués de presse (trompeurs) du gouvernement tire à sa fin. Et c’est une bonne chose.

Le plus grand danger pour les médias traditionnels, c’est de continuer d’adopter cette attitude de condescendance envers les blogueurs. Un jour ils devront comprendre: ce n’est pas parce que c’est gratuit qu’on préfère le web. C’est parce que le contenu qu’on y trouve est souvent bien meilleur.

S’ils veulent survivre, les médias traditionnels devront trouver le moyen d’offrir une valeur ajoutée, supérieure à ce que le web peut procurer au lecteur. Ce n’est pas une certification «professionnelle» – octroyée par leur propre clique – qui va les sauver.

David Descôteaux is an Associate Researcher at the Montreal Economic Institute.

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