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La crise du logement – Mythes et solutions

Présentation de Pierre Desrochers(1) au colloque Que désirons-nous pour l’avenir de notre industrie? organisé par l’Association des propriétaires d’appartements du Grand Montréal, le 25 novembre 2002.

RÉSUMÉ

1. Quelques mythes sur les causes de la crise

La crise a été provoquée par l’appauvrissement des ménages locataires.

Faux. La situation économique des Québécois s’est grandement améliorée depuis 1996. Les statistiques sur l’appauvrissement des ménages locataires par rapport aux ménages propriétaires sont faussées par l’augmentation du taux de propriété. En résumé, les meilleurs locataires sont devenus propriétaires, mais ils ont des revenus moindres que les ménages qui sont déjà propriétaires depuis plusieurs années. L’augmentation du taux de propriété provoque donc une « illusion statistique » qui donne l’impression que les propriétaires et les locataires se sont appauvris. On ne peut cependant légitimement prétendre que la crise du logement résulte de l’appauvrissement des ménages québécois.

La crise a été provoquée par les coupures dans les programmes gouvernementaux.

Faux. Certains programmes ont fait l’objet de coupures. L’examen de l’ensemble des budgets consacrés au logement social par les gouvernements provincial et fédéral démontre cependant une augmentation des dépenses consacrées au logement social au Québec de plus de 15% en dollars constants entre 1996 et 2001. Depuis quinze ans, Québec et Ottawa ont dépensé près de 5,3 milliards de dollars dans le logement social, dont 547 millions de dollars en 2001.

2. De mauvaise solutions

Les habitations à loyers modiques (HLM)

La formule des HLM est très ancienne. Elle n’a cependant jamais réussi à résoudre une crise du logement. Elle détruit le marché du logement privé à bas prix et coûte en définitive beaucoup plus aux contribuables que les suppléments aux revenus pour aider les ménages plus démunis à se loger dans le secteur privé.

Les mesures fiscales

Ces mesures sont complexes et longues à définir et à mettre en pratique. L’expérience passée nous prouve hors de tout doute qu’elles sont à la fois inéquitables pour les propriétaires et qu’elles faussent de façon souvent importantes le marché du logement locatif.

3. Les véritables causes de la crise

Au nombre des principales, on trouve notamment: la réglementation du prix des loyers qui décourage les investissements dans l’entretien des loyers existants et la construction de nouvelles unités; certaines dispositions de la législation québécoise qui posent plusieurs obstacles à la sélection des locataires et à l’expulsion des plus mauvais locataires; la réglementation de l’industrie de la construction qui entraîne des hausses importantes du coût de la main-d’oeuvre, celles-ci se répercutant dans le prix des unités locatives; le code du bâtiment qui impose des normes parfois discutables ayant presque fait doubler le coût de construction de certaines catégories de logements au cours des vingt dernières années.

4. Les recommandations de l’IEDM le gouvernement provincial déréglemente le prix des loyers et les laisse s’ajuster à des niveaux qui encourageront de nouvelles mises en chantier; le gouvernement favorise la réduction des coûts de construction des nouvelles unités de logements locatifs. Des économies significatives peuvent être obtenues en déréglementant l’industrie de la construction et en révisant certaines dispositions du code du bâtiment; le soutien aux individus les plus démunis fasse une distinction entre ceux qui ont besoin d’une aide temporaire et ceux qui ont besoin d’une aide permanente. Pour les premiers, une aide monétaire directe est préférable à de nouveaux investissements dans le logement subventionné. Des mesures permanentes ou de plus longue durée sont requises pour les clientèles plus lourdes (problèmes de toxicomanie, santé mentale, etc.). Le gouvernement peut investir davantage pour répondre aux besoins de cette clientèle, mais dans une optique de santé publique (qui comprendrait notamment les traitements et les soins requis pour venir en aide aux individus) plutôt que de politique du logement.


1. Quelques mythes sur les causes de la crise

1.1 L’amélioration significative des conditions économiques des Québécois(2)

Les chiffres disponibles indiquent clairement que la situation économique de l’ensemble des ménages québécois s’est grandement améliorée depuis six ans. Par exemple, entre 1996 et 2001, le revenu personnel disponible per capita au Québec a augmenté de 17,6% tandis que le taux d’inflation au Québec pendant cette période était de 6,3%. De même, la population active du Québec a augmenté de près de 7% et le nombre d’emplois de 10,5%, tandis que la population de la province augmentait de moins de 2%. En 1997, le Québec comptait 793 307 bénéficiaires de l’aide sociale, soit 10,9% de sa population totale. En 2001, ce chiffre avait chuté à 576 000 bénéficiaires, soit 7,8% de sa population. On ne peut donc blâmer la crise du logement de la fin des années 1990 sur un appauvrissement des ménages québécois, car au contraire la situation économique de l’immense majorité d’entre eux s’est améliorée.

L’analyse de l’évolution des conditions de vie des ménages pauvres américains démontre également des progrès remarquables au cours des dernières décennies(3). Par exemple la proportion des dépenses à la consommation consacrée à la nourriture, au logement et à l’habillement par les ménages américains sous le seuil de pauvreté est passée de 75% en 1920 à 57% en 1950, 52% en 1975 et 37% en 1995. Les principaux indicateurs du confort ménager, comme par exemple le pourcentage de ménages pauvres qui possèdent une laveuse, une sécheuse, une télévision couleur, etc., démontrent également que la situation des ménages pauvres américains à la fin des années 1990 est comparable à celle de la classe moyenne au début des années 1970. Il n’y a selon nous aucune raison de croire que la situation des ménages pauvres canadiens aient été différentes durant cette période.

1.2. Le mythe de l’appauvrissement des ménages

Malgré des statistiques encourageantes, des intervenants affirment, en citant une étude de MM. Paul Forest et Claude-Rodrigue Deschênes de la Société d’habitation du Québec publiée en mars 2001(4), que la crise du logement est causée par l’appauvrissement des ménages. Il est vrai que les auteurs écrivent que le revenu médian des locataires a reculé de 27,7% entre 1981 et 1996 en termes réels tandis que celui des propriétaires n’a diminué que de 4,5% pendant cette période. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, on ne peut cependant pas conclure de ces chiffres que les locataires se sont appauvris.

Des données anciennes

Tout d’abord, les données de MM. Forest et Deschênes ne tiennent pas compte des données du dernier recensement (2001) qui n’étaient pas disponibles au moment de la parution de leur étude. Or comme nous l’avons mentionné, la situation économique des Québécois s’est grandement améliorée durant cette période.

Revenu brut Vs revenu disponible

L’analyse de MM. Forest et Deschênes porte sur le revenu brut. Dans la mesure où les propriétaires font généralement de meilleurs revenus que les locataires et où la ponction fiscale des ménages plus fortunés a considérablement augmenté durant cette période, les auteurs soulignent «qu’il y a tout lieu de croire que, si l’on disposait d’information sur le revenu disponible des ménages, on constaterait qu’à ce niveau la progression relative serait moins favorable aux propriétaires… car ils subissent dans une proportion plus importante que les locataires les effets des ponctions fiscales.» De plus, ces données ne tiennent évidemment pas compte du travail au noir effectué par un nombre important de locataires «à faibles revenus».

Les meilleurs locataires sont devenus propriétaires

MM. Forest et Deschênes parlent d’un appauvrissement relatif de la population locataire et non d’un appauvrissement absolu. En d’autres mots, il n’est pas fondé de dire sur la base de leurs chiffres que l’ensemble des locataires sont maintenant plus pauvres qu’ils ne l’étaient en 1981. Tout d’abord, le taux de propriété a augmenté de façon significative au cours des dernières décennies. Comme le remarquent MM Forêt et Deschênes dans une autre étude(5), le taux de propriété dans les grands ensembles de territoires au Québec entre 1976 et 1996 est passé de 50,4% à 56,5%. Les augmentations les plus significatives sont dans les régions métropolitaines de recensement (RMR) de Montréal (9,8%) et Québec (8,3%). Or ces augmentations ont des implications importantes du point de vue statistique.

Le cas de Montréal est particulièrement intéressant. Comme l’observent les auteurs, aucune des quatre sous-régions de la RMR de Montréal (CUM, Laval, Couronne Sud, Couronne Nord) ne parvient à surpasser celle de l’ensemble de la RMR en terme de hausse du taux de propriété (hausses respectives de 7,1; 0,7; 4,1 et 2,7%). La seule façon de résoudre ce paradoxe est «de conclure que la hausse du taux de propriété de la RMR de Montréal résulte principalement du déplacement relatif des ménages vers les sous-régions à plus fort taux de propriété et non pas de l’augmentation du taux de propriété sur le territoire de chacune des sous-régions».

En d’autres mots, une proportion importante de locataires sur l’île de Montréal sont devenus propriétaires en banlieue entre 1976 et 1996. Or si la majorité des nouveaux propriétaires sont en meilleure situation financière que la moyenne des locataires, ils sont généralement un peu moins fortunés que la moyenne des propriétaires déjà établis. On compte donc maintenant plus de propriétaires, mais les nouveaux propriétaires sont un peu moins riches que les propriétaires déjà établis. Les gens qui demeurent locataires sont par contre, règle générale, en moins bonne situation financière que les anciens locataires devenus propriétaires. Les revenus médians des locataires et des propriétaires diminuent donc une fois que les meilleurs locataires sont devenus propriétaires par une simple «illusion statistique» et ce, même si les gens qui sont demeurés locataires ne sont pas plus pauvres que par le passé.

Dans la mesure où la proportion de ménages propriétaires est beaucoup plus faible au Québec que dans les autres provinces comparables (20% de moins qu’en Ontario et en Colombie-Britannique), on peut s’attendre à ce que cette illusion statistique soit encore accentuée dans les années à venir même si la situation économique de l’ensemble des Québécois s’améliore.

La pauvreté n’est pas une condition permanente(6)

Une autre considération dont les tenants de l’appauvrissement des ménages ne tiennent pas compte est la mobilité sociale qui demeure très élevée chez nous. Les auteurs du document de consultation sur le logement social de la Commission de l’aménagement du territoire(7) écrivent ainsi qu’en 1996 42% des ménages québécois consacraient plus de 30% de leurs revenus à payer leur logement et que de ce nombre la moitié y dédiait plus de 50%, une situation qui s’expliquerait par le fait qu’un ménage locataire sur cinq gagne moins de 10 000 $ par année. Ils observent également que 56% des ménages qui consacrent plus de 30% de leurs revenus bruts à l’ensemble de leur coût de logement sont composés de ménages d’une seule personne et que plus de la moitié (57,1%) des jeunes ménages de moins de 24 ans avait un taux d’effort supérieur à 30%. Ces chiffres peuvent sembler choquants. Ils ne le sont cependant pas une fois que l’on réalise qu’une portion importante des ménages à faibles revenus sont des étudiants ou des jeunes qui viennent à peine d’entrer sur le marché du travail.

Ce qu’il faut tout d’abord comprendre est que les locataires moins fortunés de 1996 ne sont pas, dans l’immense majorité des cas, les mêmes qu’au début des années 1980. Bien que les activistes laissent entendre que les gens à faible revenu sont très nombreux, que la pauvreté est pour la majorité d’entre eux une condition permanente et qu’ils sont condamnés à vivre dans des logements insalubres pour le reste de leur vie si on les abandonne à leur sort, il n’en est rien. Malgré des difficultés bien réelles dans certains cas, les résultats des recherches disponibles sur la question sont clairs: contrairement à ce que l’on entend souvent, il y a une proportion très restreinte de personnes à faible revenu dans les économies avancées et, d’autre part, ces gens ne sont pas pris dans un engrenage de pauvreté dont il est impossible de sortir.

Par exemple, au Canada c’est dans la catégorie d’âge 18-24 ans qu’on trouve la plus forte proportion de gens à faible revenu pour une année ou plus (38,5%) et pour quatre années ou plus (10,8%), une situation qui s’explique évidemment par la présence des étudiants dans ce groupe. Il est toutefois démontré que les revenus des étudiants et des jeunes travailleurs grimpent rapidement quelques années après leur entrée sur le marché du travail. De plus, dans le cas de l’aide sociale, plus de la moitié des bénéficiaires (56%) réussissent à la quitter au cours de la première année suivant leur entrée(8). En dernière analyse, seulement 3,3% des Canadiens sont demeurés sous le seuil de faible revenu à chaque année pendant la période 1993-1998. Il est donc faux de prétendre que les locataires du début des années 1980 se sont dans l’ensemble appauvris ou que le fait qu’un ménage locataire sur cinq en 1996 gagne moins de 10 000 $ nécessite une intervention gouvernementale vigoureuse.

En dernière analyse, on ne peut légitimement prétendre que la crise du logement résulte de l’appauvrissement des ménages québécois.

1.2. Les coupures dans le logement social(9)

Plusieurs activistes attribuent la crise aux coupures fédérales de 1994 dans les programmes d’habitations à loyers modiques (HLM). Il faut cependant préciser que le gouvernement fédéral n’a pas cessé de subventionner les HLM existants et que le gouvernement du Québec a considérablement bonifié ses programmes depuis cette date. Si l’on tient compte de tous les programmes de logements sociaux (HLM, coopératives d’habitation, organismes à but non lucratif, suppléments au loyer et allocations au logement), les dépenses fédérale et provinciale en matière de logement social au Québec ont augmenté de plus de 15% en dollars constants entre 1996 et 2001. De plus, le pourcentage des ménages québécois bénéficiaires d’une aide au logement à caractère social est passé de 3% en 1981 à 8% en 1999 et leur nombre de 121 000 à plus de 240 000 entre 1991 et 2001. Ces programmes ont coûté près de 5,3 milliards de dollars aux contribuables québécois au cours des quinze dernières années, dont 547 M$ en 2001(10). Dans la mesure où ce sont les mêmes contribuables qui financent ces mesures, il est faux de prétendre que la crise a été provoquée ou amplifiée par les coupures gouvernementales.

Des activistes du logement entretiennent délibérément la confusion à ce chapitre car ils ne considèrent pas les mesures de soutien financier direct comme de véritables mesures de logement social. Comme nous le verrons plus en détail, ces mesures sont cependant beaucoup plus efficaces et moins coûteuses que les HLM.

2. De mauvaises solutions

2.1 Les habitations à loyers modiques (HLM)

Selon plusieurs intervenants, nos sociétés abritent des gens trop pauvres pour défrayer le coût d’un logement convenable et il n’existerait jamais suffisamment de logements abordables pour répondre à leur demande(11). Les gouvernements de nombreux pays se sont donc toujours cru justifiés de dépenser une partie des impôts de la très grande majorité des contribuables pour subventionner des habitations à loyers modiques (HLM).

Bien que ces programmes puissent sembler intéressants en théorie, toute l’expérience acquise dans le domaine prouve cependant qu’ils créent des situations pires que celles qu’ils sont censés résoudre. Ceci n’empêche évidemment pas les responsables de ces programmes de concocter de nouvelles formules. Il faut cependant comprendre que si les logements sociaux sont plus abordables pour leurs occupants, c’est uniquement parce que l’ensemble des contribuables, y compris les locataires dans le marché privé, en assument les coûts. Il faut donc s’interroger sur l’opportunité pour les pouvoirs publics de se faire promoteur immobilier. Or toute l’expérience dans le domaine démontre que l’intervention gouvernementale directe est à la fois inefficace et génératrice de situations pires que celles qu’elle vise à améliorer.

Le correspondant parisien du Devoir, M. Christian Rioux, résume bien les problèmes de cette formule dans sa chronique du 7 juin 2002:

Cela fait un demi-siècle que la France construit ces logements sociaux que réclame à cor et à cri la gauche québécoise. Tout cela pour découvrir que le problème des sans-abri est plus grave en France qu’au Québec. Les HLM français ont depuis longtemps détruit le marché du logement à bas prix. Aujourd’hui, un chômeur français ne peut pratiquement pas se louer un appartement dans le secteur privé. Même les étudiants ont toutes les misères du monde à le faire sans le soutien de leurs parents. Sans compter les immenses ghettos que l’État a créés aux portes des villes et qu’il faudra bien détruire un jour.

Le chercheur Max Falque résume également bien la tragédie des «Grands Ensembles»:

À partir d’une maîtrise foncière et de financement exclusivement publics et sous la responsabilité jalouse des pouvoirs publics, on est arrivé à produire un habitat si calamiteux que la seule solution a consisté à dynamiter des immeubles encore solides. Aucun promoteur privé, même le plus rapace, n’est arrivé à ce résultat. On objectera que face à la demande urgente de logements, il fallait privilégier le quantitatif. Soit, mais qui avait créé la pénurie, sinon le démagogique blocage des loyers qui, de 1920 à 1948, en ruinant les propriétaires a plus sûrement détruit le parc de logements que les deux guerres mondiales réunies(12)!

Le cas français est typique de ce que l’on observe partout ailleurs dans le monde. L’historien britannique Stephen Davies remarque ainsi que les HLM construit dans son pays dans les années 1940, 1950 et 1960 ont non seulement mené à la démolition de maisons ouvrières qui avaient duré une centaine d’années et qui étaient encore dans l’ensemble dans un état convenable, mais à leur remplacement par des logements gouvernementaux qui n’ont dans la plupart des cas pas eu une durée de vie de 30 ans(13)! Comme le soulignait dès 1961 la théoricienne urbaine Jane Jacobs, le principal résultat des grands ensembles de HLM américains a été de détruire le tissu social de quartiers pauvres, mais sécuritaires, et de les remplacer par de mornes méga-édifices rapidement transformés en foyers de vandalisme et de délinquance, générateurs d’une situation bien pire que celle qui existait auparavant. Une fois ces foyers de criminalité bien implantés, la dégradation des quartiers avoisinants n’a été que l’affaire de quelques années(14).

La formule des grands édifices de HLM a été reléguée aux oubliettes. Les constructions plus récentes ont cependant beau être des structures beaucoup plus petites et plus luxueuses, les résultats préliminaires ne sont guère plus encourageants que les tentatives antérieures(15). En fait, comme le remarque chercheur de l’université Harvard Howard Husock(16), les échecs répétés de toutes les formules retenues prouvent non seulement que cette idée ne fonctionne pas, mais qu’elle génère pour les familles pauvres qu’elle vise à aider des situations pires que celles qui existaient avant l’instauration de ces mesures.

Selon Husock, ces résultats sont inévitables pour un ensemble de raisons. Premièrement, le logement social repose sur le postulat erroné que la pauvreté de la plupart des ménages n’est pas transitoire, mais permanente. Le problème du logement subventionné dans ce contexte, surtout dans le cas des HLM où le loyer est basé sur une fraction du revenu disponible, est qu’il n’est pas une mesure transitoire. Ce faisant, il ne fournit aucun incitatif à ses occupants pour augmenter leurs revenus, car leur loyer augmentera en conséquence. De plus, les HLM créent des disparités importantes entre bénéficiaires de la sécurité du revenu qui profitent de ces logements et ceux qui n’en profitent pas(17).

Deuxièmement, les HLM sont toujours plus coûteux que les alternatives privées. Cette situation se vérifie partout dans le monde, y compris au Québec(18). Pour comprendre l’inévitabilité de ce résultat, il faut d’abord se rendre compte qu’à loyer comparable, les standards des HLM sont plus élevés que ceux du secteur privé, ce qui implique évidemment qu’ils seront toujours déficitaires. Le problème dans ce contexte n’est pas tant que les HLM soient par définition déficitaires, mais que la gestion publique ne soit pas soumise à la recherche du profit. Elle fournit donc beaucoup moins d’incitatifs pour être constamment plus efficace et pour contrôler les coûts d’exploitation. De plus, les gestionnaires de HLM doivent suivre des procédures gouvernementales tatillonnes, ce qui veut notamment dire qu’ils devront payer leur main-d’oeuvre au prix fort. Des intervenants mentionnent également que le fait que les travaux d’entretien et de rénovation des logements à but non lucratifs soient subventionnés entraîne souvent une surenchère des prix par les entrepreneurs.

L’expérience américaine et canadienne en matière de HLM nous enseigne également que les gestionnaires publics ont tendance à ne pas investir suffisamment dans l’entretien régulier de leurs immeubles. Cette pratique aide à réduire les déficits annuels, mais elle implique des coûts plus élevés à long terme lorsque des investissements majeurs sont requis. Bien qu’ils en subissent les contre-coups, les résidants de HLM ne sont tout simplement pas en mesure d’exiger une meilleure gestion en raison de leur position de locataires subventionnés, au Québec comme ailleurs(19).

Le sous-investissement est également caractéristique des logements subventionnés administrés par des organismes sans but lucratif. Pour dire les choses simplement, les organismes sans but lucratif n’ont pas de recette miracle pour gérer à moindre coût que l’entreprise privée. Dans la mesure où les profits du secteur privé dans le secteur immobilier ne sont souvent pas énormes, il est clair que des logements subventionnés équivalents, mais aux loyers beaucoup moins élevés, impliqueront toujours des subsides importants ou un entretien déficient.

Il ne faut pas non plus oublier de tenir compte des coûts cachés du logement social, notamment le fait que les HLM ne paient pas de taxes foncières, ce qui revient à dire que les coûts de ces immeubles pour le reste des contribuables est encore plus élevé qu’il n’y paraît à la lecture de leurs bilans financiers(20).

Au bout du compte, les critiques que l’on peut soulever envers les HLM et le logement social au Québec sont les mêmes qu’ailleurs. Selon la journaliste Josée Boileau, plusieurs intervenants se plaignent de ce que les «les HLM, c’est une gestion coûteuse et centralisée pour créer de gros ghettos de pauvreté» et plusieurs petits propriétaires se plaignent de la concurrence déloyale du logement social qui est financé à même leurs taxes(21).

Les gouvernements étrangers ont beau multiplié les nouveaux types de HLM, aucune de ces formules n’a donné de résultats probants. Toute l’expérience dans le domaine des habitations à loyers modiques (HLM) prouve que cette formule ne fonctionne pas. Le gouvernement québécois devrait en tirer les leçons qui s’imposent et ne pas dépenser plus d’argent des contribuables dans cette formule.

En fait, la qualité de vie de Montréal s’explique en bonne partie par le fait que les dépenses en HLM y aient historiquement été beaucoup moins significatives que dans les autres grandes villes des économies industrialisées. La région de Montréal ne se classe en effet qu’au 19ième rang sur les 23 plus grandes agglomérations nord-américaines à ce chapitre. On y trouve 37 logements sociaux pour 1000 habitants, contre 148 à New York, 89 à Washington, 81 à Boston et 73 à Toronto(22).

2.2 Les mesures fiscales

Nos élus provinciaux et municipaux privilégient aujourd’hui comme par le passé l’usage de subventions et de mesures fiscales pour stimuler la construction de nouvelles unités de logements locatifs. Cette approche constitue en fait un retour aux mesures utilisées à la fin des années 1970 et au début des années 1980 pour stimuler le marché de l’habitation. Or comme on l’a constaté au tournant des années 1990, ces mesures comportent à moyen et à long terme des effets pervers, notamment parce qu’elles conduisent à un nombre de mises en chantier beaucoup trop élevé (et donc inutilement coûteuses) et qu’elles font vivre toute une armée de bureaucrates, de comptables et de « professionnels » des mesures de soutien gouvernementales aux frais de l’ensemble des contribuables.

Les incitatifs fiscaux ne s’attaquent pas non plus à la réglementation gouvernementale, notamment la réglementation du prix des loyers et les obstacles à la sélection et à l’expulsion des locataires à problème. Ces mesures font en sorte qu’il est pratiquement impossible pour la majorité des propriétaires de contrôler et de rentabiliser leur investissement. Ces entraves gouvernementales au fonctionnement normal du marché locatif découragent l’entretien des unités existantes et la construction de nouvelles unités. Il est donc très douteux que les investisseurs, qui sont bien au fait de ces contraintes réglementaires, se laisseront convaincre aussi facilement que par le passé d’investir dans le logement pour bénéficier d’incitatifs fiscaux tant et aussi longtemps que ces législations n’auront pas été revues en profondeur.

3. Les véritables causes de la crise(23)

Les causes de la crise du logement n’ont rien de mystérieuses. Au nombre des principales, on trouve notamment:

  • la réglementation du prix des loyers qui décourage les investissements dans l’entretien des loyers existants et la construction de nouvelles unités;
  • certaines dispositions de la législation québécoise qui posent plusieurs obstacles à la sélection des locataires et à l’expulsion des plus mauvais locataires;
  • la réglementation de l’industrie de la construction qui entraîne des hausses importantes du coût de la main-d’oeuvre et qui se reflètent dans des prix de construction d’environ 18% plus élevés que la moyenne canadienne(24);
  • le code du bâtiment qui impose des normes parfois discutables qui ont presque fait doubler le coût de construction de certaines catégories de logements au cours des vingt dernières années.

4. Recommandations

En dernière analyse, on ne peut envisager que deux options pour résoudre la crise du logement: 1) investir davantage dans le logement social et adopter de nouveaux allégements fiscaux, ce qui se traduira immanquablement par une augmentation du fardeau fiscal de tous les contribuables québécois et une augmentation de la bureaucratie nécessaire pour gérer ces programmes; 2) déréglementer le secteur de l’habitation et laisser la vaste majorité des locataires qui en ont les moyens supporter le coût de l’ajustement nécessaire à court terme.

La deuxième option est moins coûteuse et plus équitable. C’est dans cette optique que nous faisons les recommandations suivantes:

  • Le gouvernement provincial doit déréglementer le prix des loyers et les laisser s’ajuster à des niveaux qui encourageront de nouvelles mises en chantier. Il est vrai qu’une telle politique amènera une certaine hausse des loyers, mais il faut rappeler que les loyers actuels de Montréal, Gatineau et Québec ne sont en aucune mesure comparables à ceux des autres grandes villes canadiennes(25).
  • Le gouvernement doit favoriser la réduction des coûts de construction des nouvelles unités de logements locatifs. Des économies significatives peuvent être obtenues en déréglementant l’industrie de la construction et en révisant certaines dispositions du code du bâtiment.
  • Le soutien aux individus les plus démunis doit distinguer ceux qui ont besoin d’une aide temporaire de ceux qui ont besoin d’une aide permanente. Pour les premiers, une aide monétaire directe est préférable à de nouveaux investissements dans le logement subventionné. Des mesures permanentes ou de plus longue durée sont requises pour les clientèles plus lourdes (problèmes de toxicomanie, santé mentale, etc.). Le gouvernement pourrait investir davantage pour répondre aux besoins de cette clientèle, mais dans une optique de santé publique (qui comprendrait notamment les traitements et les soins requis pour venir en aide aux individus) plutôt que de politique du logement.

Pour conclure, l’intervention gouvernementale dans le domaine du logement ne doit plus être caractérisée par une mentalité de partage de la pauvreté, mais par une éthique de la responsabilisation et de la création de richesse qui reconnaît qu’une politique sociale efficace aide les gens à s’adapter au changement plutôt qu’à lui résister.

Notes

1. Adresse de correspondance: Institut économique de Montréal, 6708 Saint-Hubert, Montréal (Québec), Canada, H2S 2M6, Tél.: (514) 273-0969, Fax: (514) 273-0967, courriel: pdesrochers@iedm.org.
2. Les chiffres utilisés dans cette section sont tirés de Réal Mathieu, Michel Quessy et Jacques Lévesque, Tableau politique canadien 16 (2), Institut de la statistique du Québec et Secrétariat aux Affaires Intergouvernementales Canadiennes, Juin 2002.
3. Pour le détail et les sources de ces chiffres, voir Pierre Desrochers, Comment résoudre la crise du logement au Québec?, Institut économique de Montréal, Juillet 2002
(/show_publications_fr.php?publications_id=39).
4. Paul Forest et Claude-Rodrigue Deschênes, Évolution socio-économique des ménages locataires et propriétaires au Québec entre 1981 et 1996, Société d’habitation du Québec: Direction de la planification, de l’évaluation et de la recherche, Mars 2001.
5. Paul Forest et Claude-Rodrigue Deschênes, Étude temporelle de la distribution géographique des ménages au Québec, 1976-1996, Société d’habitation du Québec: Direction de la planification, de l’évaluation et de la recherche, Février 2000.
6. Pour une analyse plus détaillée de cette problématique voir Institut économique de Montréal, La pauvreté n’est pas une condition permanente, Note économique, Mai
2001 (/show_publications_fr.php?publications_id=26).
7. Daniel Gill et Bruno Dagenais, Document de consultation. Mandat d’initiative sur le logement social et abordable, Assemblée nationale du Québec, Commission de l’aménagement du territoire, Septembre 2002.
8. Ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale, La volonté d’agir, la force de réussir. Stratégie nationale de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, Gouvernement du Québec, Juin 2002, p. 15.
9. Pour le détail de cette analyse et les sources des chiffres utilisés, voir Desrochers, op. cit.
10. Gill et Dagenais, op. cit., p. 39.
11. Gill et Dagenais, op. cit., citent les propos de plusieurs fonctionnaires des principales villes québécoises, des activistes du logement social, des offices municipaux d’habitation du Québec, des coopératives d’habitation, etc.
12. Max Falque, “Introduction” dans Max Falque et Guy Millière (Dir.)., Écologie et liberté, Litec, Paris, p. 2.
13. Davies cite l’adage bien connu: “We have knocked down slums that had lasted for a hundred years and replaced them with slums that have lasted twenty-five years.” Voir Stephen Davies, “Laissez-Faire Urban Planning” dans David T. Beito, Peter Gordon, and Alexander Tabarrok, The Voluntary City. Choice, Community, and Civil Society, The University of Michigan Press, Ann Arbor, 2002, p. 18-46.
14. Jane Jacobs, The Death and Life of Great American Cities, Random House, New York, 1961.
15. Gill et Dagenais, op. cit., présente une synthèse des nouvelles formules de logement social américain, français et britannique. Pour une critique en règle des programmes américains, voir Howard Husock, Repairing the Ladder: Toward a New Housing Policy Paradigm, Reason Public Policy Institute, Policy Study No. 207, July 1996 (http://www.rppi.org/ps207.pdf). Husock a également résumé son analyse dans une série d’articles plus courts. Voir notamment «We Don’t Need Subsidized Housing», City Journal, Winter 1997 et «Let’s End Housing Voucher», City Journal, Autumn 2000.
16. Husock 1996, Op. cit.
17. Ce constat se vérifie également au Québec en 1997: «Les personnes seules vivant en HLM paient en moyenne 196 $ par mois pour se loger, comparativement à 336 $ pour les bénéficiaires de l’aide sociale logés sur le marché privé. Or, tous ces ménages reçoivent le même montant de 325 $ à même leur prestation de sécurité du revenu pour le logement». Dans Société d’habitation du Québec, L’action gouvernementale en habitation. Orientations et plan d’action, 1997, p. 5.
18. Selon les prévisions budgétaires de 2000, le déficit d’exploitation des OMH est de 242 millions de dollars. Plus remarquable encore est le chiffre officiel du montant moyen mensuel requis pour couvrir le déficit de chaque unité de logement: 355,68 $, qui permettrait de couvrir les frais d’un loyer convenable dans certaines régions du Québec (Gill et Dagenais, op. cit.). Un fonctionnaire de la SHQ remarque également en 1997 que la dépense gouvernementale pour loger une personne seule qui est bénéficiaire de la sécurité du revenu dans un HLM atteint 680 $ par mois dans une unité existante et 1 062 $ dans une unité neuve. Un logement adéquat pour personne seule ne coûte cependant que de 349 $ à 425 $ par mois sur le marché privé (Société d’habitation du Québec, L’action gouvernementale en habitation. Orientations et plan d’action. Québec, 1997, p. 5). Comme le démontre également le professeur François Des Rosiers de l’Université Laval, à montant égal le soutien financier direct aux locataires permet de satisfaire quatre fois plus de bénéficiaires que les subventions aux HLM. Même si les prix des loyers privés neufs sont plus élevés, ils demeurent en dernière analyse beaucoup moins coûteux que les HLM.
19. Voir Husock, 1996, Op. cit. et Vaillancourt et Ducharme, Op. cit. Au Québec, plusieurs intervenants soutiennent que l’entretien des HLM a été négligé. Bien que la SHQ ait consacré 35 millions de dollars pour les rénovations de HLM en 2001, l’Association des OMH juge ce montant nettement insuffisant. Selon la fédération des locataires de HLM, les rénovations nécessaires demanderaient un investissement supplémentaire de 52 millions de dollars. Voir Josée Boileau, «Une nouvelle vie pour les OMH», Le Devoir, 11 octobre 2001.
20. Gill et Dagenais, op. cit., p. 43.
21. Josée Boileau, «Une nouvelle vie pour les OMH», Le Devoir, 11 octobre 2001.
22. Communauté métropolitaine de Montréal et Daniel Arbour et Associés, La Communauté métropolitaine de Montréal: Vision stratégique, Montréal, Communauté métropolitaine de Montréal, Octobre 2002, p. 64 (http://www.cmm.qc.ca/publications/documentscmm/partie2.pdf)
23. Pour une analyse plus détaillée, voir Desrochers, op. cit.
24. Le coût unitaire de construction d’une maison unifamiliale s’établissait en 2001 à 808$/m2 pour l’ensemble du Canada, à 827$/m2 en Ontario, à 761$/m2 en Colombie-Britannique et à 951$/m2 au Québec, soit une différence de près de 18% par rapport à la moyenne canadienne. Source: Permis de construire et de démolition, Statistique Canada, compilation spéciale, septembre 2002, citée par François Des Rosiers, Logement social et abordable et crise du logement au Québec, Mémoire présenté devant la Commission permanente sur l’aménagement du territoire – Assemblée nationale du Québec, 18 octobre 2002.
25. Gill et Dagenais (p. 36) observent ainsi que, sur la base comparative des tarifs horaires minimums, il faut 127 heures de travail à Toronto, 113 à Ottawa et 111 à Calgary à un travailleur se situant au bas de l’échelle salariale pour se loger dans un logement convenable d’une chambre à coucher, contre seulement 68 à Montréal. Gatineau ou à Québec et environ 52 dans les autres villes québécoises. Malgré les hausses récentes, le Québec demeure une province de «logements très abordables» lorsqu’on le compare aux autres juridictions canadiennes qui ne sont souvent pas plus riche hors des grands centres.



Pierre Desrochers is Research Director at the MEI and author of the Research Paper entitled Comment résoudre la crise du logement au Québec?

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