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La concurrence fiscale au Canada

Notes pour une allocution de Michel Kelly-Gagnon, président de l’Institut économique de Montréal, devant le Forum Régional du Contribuable «Les Contribuables et l’Europe, gaspillages et fiscalité» – Table ronde Fiscalité européenne: Du risque d’un impôt européen… au danger d’une harmonisation de la fiscalité – organisé par le groupe Contribuables Associés au Parlement européen de Strasbourg, le 5 décembre 2003.

Madame, Monsieur, Bonjour!

Mon allocution d’aujourd’hui s’intitule: «La concurrence fiscale au Canada».

Le cadre de la concurrence fiscale au Canada

Au Canada, les principaux impôts – impôt sur le revenu des particuliers, impôt sur le revenu des sociétés, et taxes à la consommation – sont en général levés séparément par chaque gouvernement provincial ainsi que par le gouvernement fédéral.

La question que je veux traiter aujourd’hui est: Dans quelle mesure une concurrence fiscale s’est-elle développée entre les gouvernements provinciaux? Et, le cas échéant, jusqu’à quel point cette concurrence fiscale incite-t-elle les gouvernements provinciaux à limiter ces impôts afin d’éviter que les contribuables les plus mobiles de chaque provinces ne «votent avec leurs jambes»?

Étant donné la durée de temps de parole fort limitée qui m’est octroyée aujourd’hui, je traiterai surtout de l’impôt sur le revenu des particuliers, qui est de toute façon le principal impôt au Canada.

Mais j’ajouterai quand même un mot à propos des autres grands types d’impôt.

Tout d’abord: parlons des obstacles à la concurrence fiscale.

Premièrement, un des obstacles à la concurrence fiscale est que le gouvernement fédéral lève 45% de tous les impôts, réduisant ainsi l’impact des variations dans les taux provinciaux.

Un problème connexe est que tous les gouvernements provinciaux, à part celui du Québec et, depuis 2000 seulement, celui de l’Ontario, établissent les taux de l’impôt sur le revenu des particuliers en proportion des taux fédéraux. Notons toutefois que ce mimétisme s’est atténué au cours des deux dernières décennies alors que les gouvernements provinciaux ont eu tendance à établir des surtaxes et autres mesures particulières.

Troisièmement, l’obstacle sans doute le plus important à la concurrence fiscale réside dans ce qu’on appelle la péréquation. Il s’agit d’un système par lequel le gouvernement fédéral verse aux gouvernements des provinces «plus pauvres» des transferts généraux dans le but de ramener leurs recettes fiscales à ce qu’elles seraient si ces provinces montraient un potentiel fiscal égal à celui de la province canadienne «moyenne».

Les montants ici en cause sont d’environ 11 milliards de dollars canadiens (soit environ 7 milliards d’euros) par année, ce à quoi l’on doit ajouter environ 18 milliards $ (ou
12 milliards d’euros) de transferts sociaux, le total équivalant à 17% des dépenses fédérales.

Cette redistribution interprovinciale permet à un gouvernement provincial de compenser sa faible compétitivité fiscale par des transferts en provenance des provinces plus compétitives. Ce système diminue l’incitation des gouvernements provinciaux à réduire les impôts puisque, même si leurs contribuables votent avec leur jambes, des transferts viendront remplacer les impôts perdus.

Ses conséquences

Quelles que soient les limitations de la concurrence fiscale au Canada, elle existe à un certain degré et accroît l’efficacité économique.

Concurrence dans les taux de l’impôt sur le revenu des particuliers

Considérerons l’impôt sur le revenu des particuliers: au cours des années, le gouvernement du Québec a été obligé de réduire son taux marginal maximum de manière à ce que le taux combiné (fédéral provincial) se situe à peu près au niveau de la plupart des autres provinces.

Une recherche empirique récente publiée dans la revue International Tax and Public Finance estime que, sur la base des données des deux dernières décennies, les gouvernements provinciaux sont obligés de réduire de 0,3% (0,3 point de pourcentage) leur taux (moyen) d’impôt sur le revenu chaque fois que les gouvernements des provinces voisines réduisent le leur de 1%(1). Ça ne fonctionne pas parfaitement mais, malgré les obstacles, ça fonctionne.

Les obstacles du cartel fédéral

L’analyse empirique montre également que la redistribution fédérale (essentiellement les paiements de péréquation) empêche en partie la concurrence fiscale de jouer entre les provinces. En effet, les gouvernements provinciaux récipiendaires de péréquation réagissent moins à une réduction éventuelle des taux d’impôt dans les provinces avoisinantes: même si ses contribuables votent avec leurs jambes, le gouvernement provincial sait que le fédéral compensera en partie les pertes fiscales qui s’ensuivent(2).

Les auteurs de la même étude économétrique démontrent qu’une augmentation dans le taux de la péréquation entraîne une légère augmentation du taux de l’impôt provincial sur le revenu dans les provinces bénéficiaires(3). Si le gouvernement provincial perd moins de revenus quand sa ponction fiscale chasse ses contribuables, il en profite davantage.

Notons bien que cette étude n’est pas réalisée par des libéraux, mais par des économistes qui croient que la péréquation a pour avantage de compenser l’érosion fiscale que la concurrence peut provoquer(4)!

D’autre exemples

L’impôt sur le revenu des sociétés

La concurrence fiscale affecte également les taux de l’impôt provincial sur le revenu des sociétés, qui sont relativement bas en comparaison du taux fédéral(5). Une recherche publiée dans la Revue canadienne d’économique montre que les gouvernements provinciaux ont tendance à suivre quand l’un deux (et surtout si c’est celui de l’Ontario) baisse le taux de l’impôt sur le revenu des sociétés(6). Même l’ancien gouvernement social-démocrate du Parti Québécois utilisait l’argument de la compétitivité fiscale. Un journaliste de La Presse, le plus important quotidien de Montréal, écrivait en 1996: À ses alliés naturels, les centrales syndicales qui réclament que les entreprises paient davantage d’impôts pour équilibrer les dépenses publiques, le chef du PQ réplique sans appel: «il faut créer les conditions dans lesquelles l’économie pourra repartir», s’assurer pour attirer des investisseurs que la fiscalité des entreprises au Québec sera comparable aux voisins d’Ontario et du Nouveau-Brunswick, pour empêcher «des razzias de Frank McKenna» auprès des entreprises du Québec(7). Je pourrais vous rapporter un grand nombre d’autres citations de ce genre.

Les taxes de vente provinciales

C’est certainement aussi la concurrence fiscale qui empêche les gouvernements provinciaux d’augmenter davantage leurs taxes de vente (qui se situent dans un corridor de 7% à 10%(8)). Il y a même une province, l’Alberta, qui n’en impose pas.

Conclusion

Nous avons donc beaucoup de faits empiriques pour supporter l’hypothèse que la concurrence fiscale entre les gouvernements provinciaux du Canada, même si elle est limitée par l’harmonisation cartellisante du gouvernement fédéral, constitue un frein salutaire à l’augmentation des impôts.

Dans une étude importante publiée par l’Institut Fraser, les économistes Finn Poschmann et William Robson concluent – c’est une conclusion très prudente mais qui vaut quand même la peine d’être citée: «Briefly, our principal theme is that the parallels between interprovincial competition within Canada and interfirm competition in a market setting are closer and more powerful in their implications for public policy than is generally appreciated. Provinces do compete on price and there is evidence that lower tax rates yield rewards as measured by local growth in profits and incomes. But, provinces also compete on program quality: the downward ratcheting of spending on government-provided goods and services that is predicted by simple “race to the bottom” views of competition is nowhere to be found.»(9) Autrement dit, la concurrence fiscale permet aux citoyens de choisir les combinaisons d’impôts et de services publics qu’ils souhaitent. Le système est loin d’être aussi efficace que la concurrence du marché, mais il est de loin préférable à l’harmonisation fiscale, qui est l’équivalent politique du monopole.

* * *

Notes

1. Estelle-Moré et Solé-Ollé (2002), p. 253.
2. Estelle-Moré et Solé-Ollé (2002), p. 252.
3. Estelle-Moré et Solé-Ollé (2002), p. 253.
4. Estelle-Moré et Solé-Ollé (2002), p. 254.
5. Le taux général se situe dans un corridor de 14% à 17%, en comparaison de 27% au fédéral; voir Treff et Perry (2002), p. 4:4.
6. Hayashi et Boadway (2001), p. 498-499, 502 et passim.
7. La Presse, 26 février 1996, p. A-1.
8. Treff et Perry (2002), p. 5:4.
9. Poshchmann et Robson (2003), p. 176.

Bibliographie sommaire

•Esteller-Moré, Alejandro, et Albert Solé-Ollé (2002), “Tax Setting in a Federal System: The Case of Personal Income Taxation in Canada”, International Tax and Public Finance, vol. 9 (2002), p. 235-257.
•Hayashi, Massayoshi, et Robin Boadway (2001), “An Empirical Analysis of Intergrovernmental Tax Interaction: The Case of Business Income Taxes in Canada”, Canadian Journal of Economics, vol. 34, no 2 (mai 2001), p. 481-503.
•Poschmann, Finn, et William Robson (2003), “Interprovincial Fiscal Competition in Canada: Theory, Facts and Options”, in Herbert G. Grubel, ed., Tax Reform in Canada: Our Road to Greater Prosperity, Vancouver, Fraser Institute, 2003.
•Treff, Karin, et David Perry (2002), Finances of the Nation, Ottawa, Canadian Tax Foundation, 2002.


Michel Kelly-Gagnon is President of the Montreal Economic Institute.

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