La vérité sur la dette
Petite colle: quelle était la dette du Québec au tournant des années 1970? Allez-y. Essayez un chiffre… 100 milliards de dollars? 50? 12? Réponse: 0$.
Nous n’avions aucune dette il y a un peu plus de quarante ans. Nous venons d’apprendre mardi que le solde de notre carte de crédit dépasse les 218 milliards de dollars. Et le compteur tourne rapidement. Après avoir lu cette chronique, la dette aura augmenté de 200 000 $!
Conséquence: nous payons cette année 7 milliards $ juste en remboursement de la dette. Ce montant, c’est près de la moitié du budget de l’éducation. C’est 2000 $ de vos impôts chaque année. Et si on ne fait rien, d’ici trois ans cette facture collective grimpera à 9,6 milliards $, selon le ministre des Finances. Des milliards que l’on pourrait utiliser à d’autres fins: améliorer les conditions des infirmières, réparer nos viaducs, bonifier le régime de prêts et bourses, baisser vos impôts… C’est votre choix.
La dure réalité, c’est que peu importe la mesure de la dette que vous utilisez (nette, brute, du secteur public, etc.), le Québec est la province la plus endettée du Canada. Sur l’échiquier mondial, nous sommes le 5e État le plus endetté au monde après le Japon, l’Italie, la Grèce et l’Islande d’après une mesure de l’OCDE.
Un argument fallacieux
Un collectif d’économistes, appuyé par des chefs syndicaux, tentent de minimiser l’importance de notre endettement. Plus de 218 milliards $ de dettes? Bof, disent-ils. Nous possédons des actifs en contrepartie, alors où est le problème? Effectivement, nous avons des hôpitaux, des écoles, de jolis parcs, de solides viaducs (oups, mauvais exemple) et de belles routes (re-oups!)
Mais cet argument est fallacieux. D’abord, le Québec possède seulement 17,3 milliards $ d’actifs financiers nets (des placements dans des entreprises et des comptes à recevoir pour la majeure partie). Seule une partie de ces actifs sont «liquides», c’est-à-dire qu’on pourrait les utiliser pour payer la dette.
Le reste des actifs du gouvernement, ce sont des immobilisations: des routes, des écoles, des monuments historiques, des parcs nationaux… Ces actifs peuvent difficilement être évalués à leur valeur marchande. De plus, il est peu probable (ni souhaitable) que le gouvernement vende un jour des écoles ou des ponts pour rembourser la dette! Ces actifs font partie du patrimoine des Québécois, et nous pouvons en être fiers. Mais ils ne réduisent pas la facture totale – ni les intérêts croissants – que les Québécois doivent payer.
Et Hydro-Québec? Cette entreprise vaut des dizaines de milliards (un peu moins si on soustrait sa dette de 36 milliards). Mais vous savez comme moi qu’il est loin le jour où on vendra Hydro-Québec. Même en privatiser une partie semble impossible politiquement. Il est donc trompeur d’avancer qu’Hydro-Québec réduit notre dette. Et ça devient carrément hypocrite quand ceux-là même qui s’opposent à la privatisation d’Hydro-Québec viennent nous dire qu’il faudrait considérer Hydro-Québec comme un actif qui diminue la dette!
Peu importe nos actifs, la facture de 218 milliards est sur la table, et il faudra un jour la payer.
Endettement compulsif
Pourquoi sommes-nous endettés? Parce que nous avons un problème d’endettement compulsif. Sur 218 milliards de dettes, seulement la moitié résulte d’achats d’actifs productifs (construction de routes, universités, etc.) Tout le reste, ce sont des «dépenses d’épicerie» accumulées au fil des ans. On s’endette simplement pour faire fonctionner la machine. Pour payer tous ses employés, les programmes sociaux, et nourrir notre troupeau de vaches sacrées. La dette grossit chaque année – même dans les années de forte croissance économique.
C’est donc inutile de croire que nous corrigerons la situation en haussant les taxes, les tarifs ou les impôts. Je répète: nous n’avons pas un problème de revenus – nous sommes déjà les plus taxés en Amérique du Nord! –, nous avons un problème de dépenses. En fait, nous possédons le titre peu enviable (et absurde) d’État à la fois parmi les plus endettés et les plus taxés!
Année après année, nous vivons au-dessus de nos moyens. Et quand notre carte de crédit est pleine, on veut hausser les tarifs et les taxes pour maintenir notre train de vie.
Si on ne corrige pas tout de suite ce problème d’endettement compulsif, la dette deviendra bientôt ingérable. L’inévitable hausse des taux d’intérêt – qui augmentera le service de la dette – n’est qu’un des dangers qui guettent les finances du Québec dans les années à venir. La crise économique n’est pas terminée, et nous avons autant de chances de replonger vers une dépression dans les mois qui viennent que de connaître une croissance soutenue de l’économie. Le vieillissement de la population frappera le Québec plus durement que les autres provinces – ce qui signifiera plus de pression sur notre système de santé, sur le régime des rentes, alors que nous compterons moins de travailleurs pour le financer.
Aujourd’hui, on peut s’asseoir dans le gazon et admirer nos routes, nos hôpitaux ou l’immeuble d’Hydro-Québec. Mais les 218 milliards, il faudra un jour les payer. Et plus nous attendrons pour le faire, et plus nous attendrons pour nous guérir de notre endettement compulsif, plus cher nous le payerons. C’est maintenant qu’il faut agir. C’est tout de suite que nous devons revoir notre modèle d’État-providence. Faire le ménage, et implanter des réformes que les gouvernements du Québec ont tour à tour remises à plus tard.
À moins que nous souhaitions, nous aussi, pelleter cette dette sur le dos de nos enfants.
David Descôteaux is an Economist at the Montreal Economic Institute.