fbpx

Op-eds

Obamanomics

Treize présidents d’entreprises – dont Xerox, IBM et Google – se tiennent debout dans la Roosevelt Room. Une somptueuse salle de réunion située dans l’aile ouest de la Maison Blanche. Si certains d’entre eux observent avec admiration les peintures des anciens présidents Theodore et Franklin D. Roosevelt accrochées aux murs, tous pourront jouer au président des États-Unis aujourd’hui. La Maison Blanche a ouvert ses portes à ces PDG afin de récolter leurs appuis – et leurs suggestions – sur un projet de dépenses de 787 milliards de dollars pour relancer l’économie. Non loin de là dans une autre pièce, le conseiller économique du président rencontre en privé un groupe de lobbyistes (la personne que paie une entreprise pour influencer un élu et lui soutirer des faveurs). Ces derniers jubilent. Leurs clients vont grandement profiter de ce «plan de relance».

Une journée typique du règne de George W. Bush? Non. Cette scène s’est déroulée trois semaines après l’entrée en fonction de son successeur. Celui qui accueille le gratin corporatif dans ses quartiers, c’est Barack Obama.

Pardonnez-moi si j’ébranle vos certitudes. Comme vous, je trouve Obama sympathique. Je le préfère à George W. Bush. Mais il est temps de déboulonner un mythe: malgré ses beaux discours sur «les pétrolières, les banques, les compagnies d’assurance qui imposent leur pouvoir à Washington pour étouffer la voix des citoyens américains», Obama ne désire pas se débarrasser des lobbyistes. Au contraire: il a besoin des lobbyistes, et les lobbyistes ont besoin de lui.

Saviez-vous que pendant la campagne présidentielle, Obama a reçu beaucoup plus d’argent des grandes entreprises que son adversaire républicain John McCain? Microsoft, Boeing, Pfizer et General Electric ont deux choses en commun: ce sont des emblèmes du lobbying aux États-Unis, et ces entreprises ont donné plus – beaucoup plus – à Barack Obama qu’à John McCain pendant la campagne de 2008.

Vous connaissez Goldman Sachs? Cette banque d’affaires est si intimement liée au gouvernement qu’elle échange régulièrement ses cadres et employés avec ceux de la Maison Blanche. (Au point où on raconte qu’il existe une porte tournante entre les deux édifices.) Goldman Sachs a versé à Obama quatre fois plus d’argent qu’à McCain – 997 095 $ contre 230 095 $ – pendant la course. Pour chaque dollar que les fabricants de médicaments mettaient dans les poches du candidat républicain, ils en donnaient 3,57 $ à Obama. Neuf des dix industries ayant le plus donné aux politiciens pendant la campagne (dont les avocats, les banques et les promoteurs immobiliers) ont versé plus à Obama qu’à tout autre candidat. Même les diaboliques grandes pétrolières ont fait d’Obama leur chouchou. Le géant Exxon Mobil lui a fait cadeau de 117 946 $. C’est autant que les dons de l’entreprise à George W. Bush en 2000 et 2004… combinées! On peut vérifier tous ces chiffres sur le site de l’organisme non partisan Center for Responsive Politics – www.opensecrets.org.

Une fois au pouvoir, Obama s’est entouré d’experts en lobbying. Il a nommé l’ex-collecteur de fonds de Bill Clinton, Rahm Emmanuel, chef de cabinet. Cet ancien lobbyiste de Goldman Sachs, Slim-Fast et d’un fournisseur d’équipement militaire, entre autres, possède une vaste expérience de copinage entre entreprises et gouvernement. Obama a ensuite recruté Bill Richardson et Tom Daschle, deux vétérans du lobbying. Daschle a notamment fait fortune en se battant pour les intérêts des pharmaceutiques dans tous les recoins du Congrès. Richardson a dû se retirer suite à un scandale de corruption. Quant à Daschle, il a quitté la Maison Blanche après que le fisc eut découvert qu’il avait omis de déclarer des impôts. Dans les 14 premiers jours de son administration, Obama a promu 12 ex-lobbyistes à des postes-clé du gouvernement. Le chef du personnel au département du Trésor – l’organe principal qui redirige l’argent des citoyens américains vers les entreprises et leurs lobbyistes – était, jusqu’en avril 2008, lobbyiste pour Goldman Sachs…

Doit-on conclure qu’Obama est corrompu? Qu’il adore secrètement les pétrolières? Non. Obama a probablement les meilleures intentions du monde. Je crois qu’il tente sincèrement de faire des États-Unis un meilleur pays. Toutefois, il croit que pour y arriver, il faut accorder plus de pouvoir au gouvernement fédéral – pour réglementer Wall Street, l’industrie automobile, les soins de santé, l’environnement, l’énergie, le marché immobilier… Bref, pour diriger l’économie. Il a donc besoin d’alliés puissants dans chacune de ces industries. Ses politiques enrichissent les grandes entreprises non par favoritisme, mais par nécessité tactique. Le journaliste d’enquête Tim Carney résume cette approche en un mot: Obamanomics.

Or une loi prévaut en économie politique: quand on accroît les interventions de l’État dans l’économie, les lobbyistes se multiplient. Plus l’État donne des subventions et impose des réglementations, plus le succès d’une entreprise dépend du gouvernement. Et plus le succès d’une entreprise dépend du gouvernement, plus elle va embaucher des lobbyistes. Pour soutirer des faveurs, mais aussi pour mettre des bâtons dans les roues de ses concurrents.

Plus de 800 lobbyistes ont posé leurs pattes sur le plan de relance concocté dans la salle Roosevelt. Normal, la version finale contenait 407 pages, et offrait des subventions et crédits d’impôt à tout ce qui bouge… et ne bouge pas. Si Obama veut réellement faire disparaître les lobbies de la vie politique, il sait quoi faire: réduire la taille du gouvernement, et restreindre ses interventions. Ce sera plus efficace que sa rhétorique, si éloquente soit-elle.

David Descôteaux est économiste à l’Institut économique de Montréal.

David Descôteaux is an Economist at the Montreal Economic Institute.

Back to top