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La bulle automobile

L’administration Obama a récemment introduit le programme «prime à la casse» qui consiste à verser jusqu’à 4500$ à quiconque met au rebut son véhicule et le remplace par un neuf qui sera moins énergivore et moins polluant. On prétend que cette initiative vise à stimuler l’industrie automobile et à protéger l’environnement. On ajoute qu’elle remporte un tel succès qu’Ottawa aurait intérêt à prendre exemple sur Washington ou, tout au moins, à bonifier son programme «Adieu Bazou».

Que les automobilistes aient répondu favorablement à la subvention n’a rien de surprenant. Qui n’aime pas les cadeaux en argent? Mais cet engouement ne reflète ni la pertinence de l’initiative ni le gros bon sens.

D’ailleurs, est-il raisonnable d’employer l’argent des contribuables pour encourager les automobilistes à détruire des véhicules en état de fonctionnement et à s’endetter pour acheter un modèle récent? Et comment peut-on logiquement inviter les gens à envoyer leurs autos au dépotoir alors qu’on leur martèle, depuis des années, qu’il n’est point de salut en dehors du recyclage et de la réutilisation.

Pour défendre cette logique schizophrénique, on nous dit que les «primes à la casse» dynamisent l’économie en créant ou en protégeant de nombreux emplois dans l’industrie automobile. Autrement dit, la prospérité passerait par la destruction de richesses. Démolir des actifs pour s’enrichir. Ce n’est pas seulement farfelu, c’est tout simplement démentiel!

Si envoyer des autos à la casse est bénéfique pour l’économie, pourquoi ne pas y expédier également les électroménagers et les télévisions? Pourquoi ne pas brûler vêtements, livres et équipements de sport? Mieux encore, pourquoi ne pas sortir les bulldozers et raser les maisons? Voilà qui pourrait sérieusement relancer le secteur de l’immobilier et créer des milliers d’emplois, n’est-ce pas?

Mais au fait, d’où provient l’argent qui permet d’acheter les nouveaux véhicules? La subvention gouvernementale est évidemment assumée par le contribuable: Pierre aide Paul à acheter une auto neuve! Or, chaque dollar payé en impôt n’est plus disponible pour la consommation. Quant à l’acheteur, il devra consacrer une partie de son budget aux paiements des mensualités de sa nouvelle voiture, ce qui l’obligera à réduire ses autres postes de dépenses. En somme, il n’y a aucune création de richesse, seulement un déplacement de l’activité économique d’une industrie vers une autre. L’État avantage délibérément une industrie au détriment des autres, tout en faisant croire qu’il agit dans l’intérêt de tous. C’est du favoritisme! Et le favoritisme, c’est de la corruption!

Malgré tout, le programme bénéficie d’un préjugé favorable, car il s’accompagne d’une dimension écologique. Or, même en matière environnementale, il défie la raison.

Selon les estimations du gouvernement américain, le remplacement de 700,000 véhicules devrait permettre une réduction des émissions de CO2 équivalente à 57 minutes par an, et une réduction de la consommation annuelle d’essence de 72 millions de gallons, ce qui correspond à la quantité d’or noir consommée aux États-Unis en 4,5 heures!

Or, il faut de l’énergie pour détruire les vieilles guimbardes, et pour construire les nouveaux modèles. Il en faut pour transformer les matières brutes en pièces d’autos, pour opérer les usines, pour transporter les nouveaux véhicules vers les concessionnaires, etc. Pour de nombreux chercheurs, dont Henry Jacoby, professeur au MIT et ardent défenseur de l’environnement, ce programme n’est pas aussi vert qu’on l’imagine.

Les «primes à la casse» sont économiquement absurdes et écologiquement aberrantes. Elles ne font que créer une bulle automobile qui, à l’instar de toutes les autres, finira par éclater. Réfléchissons-donc avant de calquer les mauvaises idées de Washington!

Nathalie Elgrably-Lévy is Senior Economist at the Monreal Economic Institute.

* This column was also published in Le Journal de Québec.

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